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corps de milice, « à tous les bons citoyens, » en un mot, à tous ceux qu’il juge « plus attachés à l’intérêt de l’Amérique qu’à l’intérêt mercantile. » De beaucoup d’entre eux il obtient un énergique appui, auquel ses subsides ne sont pas étrangers, et l’on voit quatorze corsaires ayant des équipages américains, sortir de tous les ports de l’Union et enlever aux Anglais quatre-vingts bâtimens richement chargés. Sans tenir nul compte des défenses et des proclamations du gouvernement fédéral, non plus que « des anathèmes de Washington et des juges fédéraux contre tout citoyen qui, en violant la neutralité, exposerait son pays à des représailles, » Genet poursuit sa campagne avec une ardeur encore plus vive. Comme on lui reproche de violer, lui, ministre étranger, les lois et la Constitution des États-Unis, il écrit une lettre où il prend à partie le président lui-même ; mais Washington, avec son habituel sang-froid et le juste souci des hautes fonctions dont il est revêtu, se borne à lui faire répondre, en termes brefs et sévères, par le secrétaire d’État Jefferson. Humilié et froissé. Genet n’hésite pas alors à faire imprimer cette correspondance et à la communiquer aux sociétés populaires « qui applaudissent à son courage. » Ainsi provoqué, Washington charge le ministre des États-Unis en France de réclamer le rappel de Genet ; il menace les consuls français de les interdire, s’ils continuent à autoriser la vente des prises et à protester contre les tribunaux qui voudraient s’en emparer. Loin de reconnaître l’inconvenance de sa conduite, et sans se laisser aucunement émouvoir, Genet annonce l’intention de demander au Congrès qu’une enquête soit faite sur les chefs d’accusation portés contre lui et ses agens et sur la conduite du gouvernement fédéral. Il est persuadé que la République française approuvera cette démarche qui déterminera aux États-Unis un changement nécessaire, « l’Amérique étant perdue pour la France, si le feu épuratoire de la Révolution ne pénètre point jusque dans son sein. » Ce qu’il faut absolument, il ne cesse de le répéter, c’est démocratiser le gouvernement des États-Unis et se défaire de Washington. Le dénonçant comme un des pires adversaires de la Révolution, Genet lui prête les projets les plus imaginaires : « L’esprit public, écrit-il, le 7 octobre 1793, nous est aussi favorable que les intentions du président le sont peu. Je ne puis douter que cet homme n’ait dirigé Lafayette. Il s’était flatté de voir le Roy de France au niveau d’un président des États-Unis, et son ambition le portait à désirer de se revêtir aussi du titre de Roy constitutionnel