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XIXe siècle. Et, parce que l’homme a cherché le charbon minéral, il s’est trouvé géographiquement lié aux parties de la terre où cette « bouillie végétale » s’était jadis déposée. — Cette réalité concrète de la grande mine de houille a engendré elle-même d’incalculables conséquences économiques et sociales. Car, pour se rendre maîtres de la houille, et en s’en rendant maîtres, les hommes en ont subi la domination. Ainsi des faits psychologiques, entraînant eux-mêmes des faits humains, (et des maisons ou des villes, et des routes de fer ou d’eau, et bien d’autres phénomènes connexes de géographie sociale ou historique), ont à leur tour procédé de la naissance et de la croissance du fait matériel de la mine.

Dans les steppes ou les déserts, les conditions générales du climat et les exigences spéciales de tout champ et de tout jardin sont telles que la vraie richesse n’est pas la terre, mais l’eau ; c’est pourquoi, toute l’organisation sociale fondamentale dépend d’abord des règles d’appropriation et de distribution de l’eau. Lorsque nous avons essayé d’analyser ces délicats rapports entre de tels faits géographiques et de tels faits humains, à travers toutes les steppes et régions arides ou désertiques de la Péninsule ibérique et de l’Afrique du Nord, nous nous sommes sans cesse efforcé d’appuyer nos conclusions de géographie sociale sur l’observation antérieure et minutieuse du « jardin » irrigué[1].

Au cours de nos voyages et de nos études, nous avons rencontré quelques cas de « jardins » tout à fait exceptionnels, entre autres les oasis du Souf. Ce sont des oasis du Sud-Algérien situées en pleines dunes ; les palmiers y sont cultivés, en contre-bas, dans des creux du sable, grâce à une nappe aquifère souterraine à laquelle les racines mêmes vont demander l’eau nécessaire. Dans ces jardins encaissés, d’où sortent à peine, rasant l’horizon, les palmes des plus hauts palmiers, — taches de culture saharienne plus disséminées et morcelées que partout ailleurs, — l’eau n’apparaît nulle part, ni sous la forme d’eau courante, ni sous la forme d’eau jaillissante ; et l’arbre est l’intermédiaire obligé entre les hommes et l’eau ; c’est l’arbre qui est lui-même l’instrument de puisage et de conquête. Aussi les droits de propriété ne s’appliquent-ils pas à la terre, car, de ces espaces immenses couverts de sable et traversés de dunes,

  1. Voir L’irrigation, ses conditions géographiques, ses modes et son organisation dans la Péninsule ibérique et dans l’Afrique du Nord, Paris, Masson, 1902.