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route, si je puis dire, de par la volonté de l’homme. Ainsi les manifestations les plus rudimentaires de notre activité terrestre révèlent elles-mêmes l’étroite solidarité de la géographie humaine dite à tort passive et de la géographie humaine dite également à tort active ou dynamique.

L’homme, sur le domaine limité où il peut vivre, n’est jamais complètement actif, c’est-à-dire créateur : s’il creuse des tunnels ou s’il perce des isthmes, il ne supprime pas des faits naturels, il les modifie, les façonne, les interprète. Ces faits naturels qui ont été modifiés, masses montagneuses, surfaces émergées, etc., persistent toujours et si bien en tant que forces qu’un effort humain continu est nécessaire pour que la modification subsiste : que l’ancien canal du Nil à la mer Rouge cesse d’être entretenu, le fait de géographie humaine s’oblitère jusqu’à disparaître ; que les tunnels de nos grandes lignes ferrées cessent d’être surveillés et soignés, bien peu d’années suffiront à les anihiler ; que dans la grande mine de houille on interrompe quelques heures le double travail du renouvellement de l’air respirable et de l’épuisement de l’eau, et la mine devient un tombeau ; que les canaux d’irrigation de Ghadamès, de Bactres ou de Palmyre cessent d’être sauvegardés par un effort minutieux et constant, l’oasis décroît, s’éteint, s’évanouit, et là où fut Palmyre ne vit plus un être vivant.

L’homme n’est pas non plus complètement passif, ou plutôt, il n’est tout à fait passif que lorsque les agens du monde physique lui enlèvent la vie. Tremblemens de terre de Lisbonne ou de San Francisco, cyclones du Bengale, de Madagascar ou de Tahiti, éruptions du Guatemala ou de la Martinique, incendies et explosions meurtrières des gaz dans les galeries profondes de Courrières témoignent de cette toute-puissance des forces naturelles vis-à-vis de la vie humaine. — D’abord, dirons-nous, ce n’est pas la mort, mais la vie, ce sont les conditions et les manifestations de la vie qui sont l’objet de la géographie humaine : or tant que l’homme vit, il agit, il réagit ; il boit, il mange, il s’étend en un point du globe pour dormir, autant d’actes dans lesquels il est aisé de reconnaître le geste de sa propre participation aux faits géographiques. Mais alors même que des individus en grand nombre sont ensevelis sous les cendres du Vésuve, ou étouffés en plein air par les gaz asphyxians de la Montagne Pelée, ou tués en pleine terre par le grisou, alors que ces victimes considérées en elles-mêmes semblent