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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 33.djvu/597

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VI

Pendant que cette réunion contradictoire s’organisait, je me décidai à faire une grande conférence au Châtelet, dans le local même où Bancel avait donné les siennes. Mais ce qui avait été accordé sans difficulté à un révolutionnaire me fut d’abord refusé par le préfet de la Seine, propriétaire de la salle. Je ne dus qu’à la courtoisie de Forcade de l’obtenir. Il eût été dans mon droit, puisqu’il ne s’agissait pas d’une réunion contradictoire, de n’admettre que mes amis. Néanmoins je ne me réservai que 4 à 500 cartes, y compris celles des sténographes et des représentai de la presse. Les personnes munies de ces cartes rentreraient rue des Lavandières, par la porte des artistes, à la même heure où la grande porte du théâtre serait ouverte au public, moyennant un prix d’entrée de 0 fr. 50. La séance fut fixée au 12 mai à 7 heures et demie.

Mes amis s’étaient gardés de troubler les conférences de Bancel au Châtelet. Les révolutionnaires de tous les quartiers de Paris résolurent de se rendre à ma réunion et de m’empêcher de parler. « Il ne faut pas qu’il parle ! » fut cette fois encore le mot d’ordre. Dès cinq heures les bandes débouchaient de Belleville, de Montmartre, du faubourg Saint-Antoine, du quartier Latin. A sept heures sur la place, sur les quais, se mouvait un océan de têtes. D’abord ce ne furent que des conversations animées, puis des cris, puis des couplets de la Marseillaise et du Chant du Départ ; un industriel offrait au public, au milieu des lazzis, un sac rempli de sifflets ; les meneurs s’étaient réunis dans la brasserie Dreher, tandis que Raoul Rigault, Dacosta et autres communards futurs excitaient la foule. Quelques agens seulement stationnaient devant le théâtre, bien que le commissaire de police Blanchet, instruit de l’assaut qui se préparait, eût demandé 500 gardes municipaux solides.

J’étais chez moi, rue Saint-Guillaume, attendant l’heure, lorsqu’une première estafette me fut envoyée par mon frère pour me dire qu’une foule immense était descendue des quartiers populaires et que le commissaire refusait d’ouvrir les portes. Un peu plus tard, une seconde estafette m’indiquait de me rendre au troisième étage d’une maison sur le quai. J’y courus et y trouvai mes amis qui