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des « préjugés surannés de race et de religion, » tant parmi les musulmans que parmi les Européens. Il cite, par exemple, tel indigène, ancien élève du collège arabe-français d’Alger, qui « doit à son instruction et à son intelligence une haute situation dans la franc-maçonnerie. » Des faits de cette nature, ne fussent-ils pas isolés, seraient peu concluans. On pourrait contester que le développement du scepticisme dans la population musulmane fût un bien. En tout cas, il n’apparaît pas comme prochain. Sans rappeler l’émeute et les massacres de Margueritte, dans un des districts les plus peuplés du Tell, il y a quatre ou cinq années, il est certain que les croyances religieuses, chez toutes les races et en tout pays, ont une vie beaucoup plus prolongée et plus intense que ne le croient la généralité des lettrés. La France en fournit, à l’heure présente, la preuve irréfragable. Après deux siècles de propagande universelle du scepticisme, souvent aidée par les pouvoirs publics, on a vu la population de nos campagnes, dans les provinces les plus diverses, s’émouvoir et quasi se soulever à l’idée qu’on allait lui prendre ses églises. C’est folie de s’imaginer que les musulmans vont prochainement renoncer à leur foi ou n’avoir plus pour elle que des sentimens languissans. Notre langue, nos arts et nos sciences, sont impuissans contre leurs traditions et leurs habitudes religieuses et n’entament pas l’âme musulmane. Même ceux que recouvre le vernis de notre civilisation apparaissent soudain comme des fidèles persistans et souvent ardens de l’Islam. Un incident qui vient de se produire à l’unis et qui y a surpris la colonie européenne est très instructif à ce sujet. Un jeune ingénieur français avait, par ignorance ou mégarde, mis le pied dans la cour de la principale mosquée de cette ville : il fut immédiatement entouré et violemment frappé à la tête par des indigènes : son principal agresseur était un Arabe encore jeune, parlant parfaitement français et fils d’un négociant des soukhs qui ne faisait guère d’affaires qu’avec les touristes européens.

M. Ismaël Hamet se fait donc des illusions quand il croit aux effets certains et, selon lui, bienfaisans de la propagation du scepticisme parmi les indigènes algériens. Un autre auteur récent sur notre Afrique, qui, lui, a le sens exact des choses religieuses, M. Bonet-Maury, émet un jugement beaucoup plus sûr, quand il écrit des musulmans instruits : « Ils sont capables d’adopter des