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Kronprinz : « La révolution en Espagne est survenue très à propos, car la France se voit forcée de se tenir tranquille. Je plains le sort de la pauvre Reine, mais, à parler sincèrement, il fallait s’y attendre. Je voudrais voir monter sur le trône d’Espagne un d’Orléans ou Philippe de Cobourg, mais pas de régent inventé par Napoléon. Si la République triomphe en Espagne, on l’aura prochainement en France. Pour le développement de l’Allemagne, elle constituera un danger moins grand que la dynastie napolénienne » (18 octobre 1868)[1].

Beust, à qui arrivait un écho de tous ces propos, disait à Gramont[2] : « Malgré les assurances spontanées qui m’ont clé données, il y a quelques jours, par M. le baron de Werther, je crois que le cabinet de Berlin, sans être le provocateur immédiat du mouvement, n’y est, cependant, pas resté totalement étranger, et je tiens pour certain qu’il s’est établi des connivences entre M. de Bismarck et le Duc de Montpensier, quelque temps avant la révolution. J’ignore si ces pourparlers ont conduit à quelque résultat pratique, mais ils ont eu, en tout cas, de la part du cabinet de Berlin, un but dont il faut se rendre compte. L’idée du cabinet de Berlin serait de susciter au gouvernement de l’Empereur des difficultés extérieures ou intérieures capables de paralyser ses forces, à un moment donné, dont la Prusse saurait profiter. »

En réalité, le mouvement révolutionnaire espagnol datait de loin et n’avait pas attendu les provocations de Bismarck pour s’organiser. Il n’est pas sûr cependant qu’au dernier moment il ne l’ait facilité : avant même que le gouvernement de la Reine se fût enfui de Madrid, le ministre prussien en Espagne reçut l’ordre de donner l’assurance à Gonzalès Bravo que son gouvernement n’était pour rien dans la conspiration. Or, au même moment, une correspondance interceptée donnait au ministre espagnol une conviction « toute contraire à cette déclaration spontanée[3]. » La révolution consommée, l’ambassadeur prussien à Vienne avait présenté aussi les mêmes dénégations. Dans certains cas, qui s’excuse s’accuse. Malgré tous les démentis, en France, l’opinion, qui n’admettait pas que Mentana n’eût pas été l’œuvre de Bismarck, demeura plus

  1. Mémoires de Charles de Roumanie.
  2. Lettre particulière de Gramont à Moustier, 20 octobre 1868.
  3. Tallichet, La guêtre franco-prussienne. Bibliothèque universelle de Lausanne, juin 1871.