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Dans la lutte contre l’autocratie, la méthode d’évolution doit être substituée à la révolution.

Dès 1889, la Russie libre, à Genève, opposait le réformisme au socialisme. Les propagandistes des années soixante-dix et quatre-vingt n’étaient pas parvenus à créer des forces révolutionnaires parmi les ouvriers et les paysans. Quoi de plus vain que de chercher à réaliser le socialisme, lorsqu’on ne possédait même pas les droits politiques les plus essentiels, et le premier de tous, l’inviolabilité de la personne humaine ? Ces libertés, il s’agissait de les conquérir, non plus par les poignards et les bombes, mais par l’alliance des libéraux. Le parti de la révolution était ainsi menacé de perdre son esprit agressif et militant ; mais il allait renaître grâce aux théoriciens marxistes, formés à l’école de la social-démocratie allemande.

Le marxisme, c’est le darwinisme appliqué à l’histoire des sociétés humaines. La lutte des espèces s’y transforme en lutte de classes, en vue de la satisfaction des besoins matériels. Cette lutte est déterminée par le mode de production qui crée des classes antagonistes. La classe qui dispose de la plus grande puissance économique s’empare du pouvoir, et impose sa domination aux autres classes jusqu’à ce qu’un nouveau mode de production vienne rompre cette stabilité. C’est ainsi que le machinisme a détruit en Europe la société féodale et créé la bourgeoisie capitaliste. Mais la grande industrie, en se développant, déracine, enrégimente le prolétariat. L’organisation démocratique de la société, conséquence nécessaire du régime industriel, permettra aux ouvriers de conquérir les pouvoirs publics, et d’exproprier d’abord politiquement, puis socialement la bourgeoisie, de même que celle-ci a exproprié la noblesse. Le marxisme se réduit donc à une prévision fondée sur une façon d’interpréter les forces agissantes dans l’histoire ; il dictera une tactique déterminée par cette conception même.

Les marxistes critiquaient les mouvemens précédens à la lumière de leur doctrine. Les terroristes, jacobins, adeptes du blanquisme, s’imaginaient qu’une poignée d’hommes qui réussissent à se rendre maîtres du gouvernement par un coup de force, peuvent donnera la société la forme chère à leur cœur. Cette illusion, Engels l’avait détruite dans sa polémique contre Dühring. Le terrorisme était la lutte d’idéologues, de prolétaires intellectuels, de déclassés, contre le tsarisme. Cette lutte devait