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Au Congrès de 1903, les deux partis se disputèrent la direction du journal l’Iskra, l’Etincelle, l’organe officiel du marxisme, conjointement avec la revue Zaria, l’Aurore.

Pour les « martovistes » comme pour les économistes, l’essentiel c’est le développement des associations ouvrières. Ils réclament une certaine autonomie des groupes, au sein du parti. Ils estiment qu’une révolution bourgeoise s’accomplira en Russie et ils admettent l’éventualité d’une action parallèle avec les démocrates bourgeois, mais non une participation au pouvoir, question que le « cas Millerand » avait mise à la mode dans le monde socialiste. Il s’agissait, en un mot, de soutenir la démocratie bourgeoise, et surtout de la forcer à radicaliser ses revendications, selon le conseil donné jadis dans le Manifeste communiste, par Marx et Engels. En un mot, Martof se rangeait à l’opinion que la révolution bourgeoise devait nécessairement précéder la révolution prolétarienne, et que cette prévision devait dicter l’organisation et la tactique socialistes.

Lénine, au contraire, donne au marxisme une tournure jacobine. Pour lui, le parti, composé de révolutionnaires professionnels, devait être une organisation au-dessus et en dehors de la classe ouvrière. Il se méfiait de l’action autonome et surtout de l’action économique du prolétariat. — Au point de vue de la tactique, il mettait toutes ses espérances dans l’insurrection armée, préparée par la formation des groupes de combat et l’acquisition des armes. — Le programme agraire voté, au Congrès de 1903, sous la dictée de Lénine, rejetait toute espèce d’expropriation en dehors de celle des enclaves qui traversent les terres paysannes. Il jugeait inadmissible, au point de vue marxiste, l’accroissement de la petite propriété paysanne, ce qui selon lui devrait forcément ralentir l’évolution capitaliste. (Depuis, Lénine s’est rallié à la confiscation de toutes les terres au profit des paysans.)

Plekbanof, assisté de Bebel pris comme arbitre, chercha vainement à rétablir l’entente entre léninistes et martovistes, entre les tendances autonomistes et économistes de Martof et l’antimarxisme de Lénine. Plekbanof se rapprochait de la minorité, des partisans de Martof, plus démocrates que les léninistes, au point de vue de l’organisation, et plus prolétariens au point de vue de la tactique, et qui avaient des affinités avec l’ancien économisme[1].

  1. Un jeune polémiste de talent, M. Struve, avait engagé, en 1894, une polémique de métaphysique sociologique avec Plekhanof. Marxiste au début, M. Struve était devenu libéral néo-kantien et il croyait, avec Sombart, que les classes bourgeoises et prolétariennes ont une mission propre ; qu’elles répondent également à des nécessités sociales et sont destinées à subsister côte à côte et non à s’entre-dévorer. La civilisation multiplie les classes au lieu de les simplifier jusqu’à l’abolition comme le prétend Karl Marx. M. Struve, éditeur de la revue Oswobojrieniè (Délivrance), organe des libéraux, des démocrates et des socialistes à tendances populistes, excommuniés par les marxistes orthodoxes, est devenu un des théoriciens du parti démocrate constitutionnel.