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le vase, jette trois poignées de riz devant les deux époux, salue les signes sacrés en croisant les mains sur sa poitrine, puis reçoit autour du cou une guirlande de fleurs. Et me voici jetant aussi le riz aux pieds de la mariée, du marié, saluant les pannelles bariolées, sans lâcher ma baguette incandescente, et mon col se trouve enrichi d’un second licol de jasmin.

Une procession de jeunes filles commence alors de faire le tour de la cour qu’elle doit doubler par trois fois. On dirait autant de péris tournant lentement autour des lampes, des simulacres divins, du bambou enrubanné ! Ces mignonnes indiennes agissent ainsi pour détourner le mauvais œil. Des ces filles qui tournent ainsi gravement sous la présidence d’un brahme, l’aînée a tout juste dix ans, mais elle en paraît bien dix-huit. Les plus petites exagèrent encore la raideur de leur maintien, comme pour surpasser leurs aînées dans l’observance des rites. Derrière elles vient le marié. Il traîne sa femme par le petit doigt et celle-ci suit, toujours tenue aux coudes par sa parente au corsage violet dont je ne cesse d’admirer la distinction d’allure et l’expression de digne et chaste réserve… Mais voici, qu’au grand scandale de l’assistance, la petite nièce de l’hôte, mécontente peut-être de ne pas avoir eu sa place dans le cortège des exercices, s’empare de ma canne et de mon casque. Depuis quelques instans la charmante créature rôdait autour de moi. On eût dit une statuette de matières précieuses, d’onyx, d’ébène et d’or, rehaussée de perles et d’émaux, tant son buste nu avait une belle couleur d’ambre, tant luisaient les cassures de ses pagnes diaprés. Elle avait cinq ans, peut-être, et l’on eût cru voir une petite femme, ou mieux une de ces fées que traînent des papillons dans un char fait d’une écorce de fruit. Grimpée sur un fauteuil, elle venait à la hauteur de mon front… Pour chargés que soient de ma coiffure et de ma canne ses bras menus et frais où tintent les anneaux de vermeil, elle trouve moyen de me prendre mon lorgnon, sur mon nez, et me rend ainsi aveugle, d’un temps. Et elle s’enfuit, sautant de chaise en chaise, essayant le pince-nez. On lui donne la chasse, on me prodigue les excuses. On s’étonne aussi, tant s’est vite répandue ma réputation de despote, que je n’entre pas dans un accès de colère folle. Peut-être aussi les Hindous voient-ils d’un mauvais œil cette fillette de caste, montrer avec un Occidental impur tant de familiarité. Propriétaire par droit d’aubaine, et du pince-nez et de la canne — car la délurée