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me céder à un prix léonin. Je partis pour Mascate et laissai à Kurrachi la pièce de mailles sans plus m’occuper de l’affaire. Trois mois après, je me trouvais à Mathéran, dans les environs de Bombay, lorsque je vis- mon marchand avec son morceau d’armure. Il m’avait suivi à la piste, du Sind en Arabie, de l’Oman à Bombay, me manquant toujours de quelque vingt-quatre heures. Enfin il m’avait rejoint dans la montagne. Mon opiniâtreté valait la sienne, j’eus la maille rouillée au prix que j’avais fixé.

Mes plus nombreux visiteurs, à Pondichéry, sont ces solliciteurs convaincus que je jouis d’une influence sans limites. A les entendre, la moindre apostille, écrite sur une demande, fera obtenir au pétitionnaire un emploi grassement rémunéré. La soif des fonctions officielles sévit, chez les Hindous, au moins autant qu’en France, ce qui n’est pas peu dire. Ils grillent du désir d’être partie prenante au budget, d’avoir la vie assurée par des appointemens et surtout par une retraite. Etre payé pour ne rien faire, avoir des cartes de visite avec la mention : commis retraité du service de….. ou des….., quelle perspective de félicités !…. Etre employé du gouvernement et porter un parapluie — au temps passé, c’était une canne à pomme d’argent — tel est le rêve de tout Hindou qui se respecte.

Il en est d’autres, enfin, qui me confient des copies levées dans leurs papiers de famille, m’inondent de mémoires justificatifs, appellent ma bienveillante attention sur des dettes que la France contracta envers eux sous le Directoire. Ils m’adjurent de rappeler ces créances, de leur faire rendre justice. Comment détromper ces quémandeurs ? Comment les évincer sans crainte de tarir toute source de renseignemens historiques ? Puis-je recevoir les uns et fermer ma porte aux autres ? Un Talleyrand ne se trouverait-il là à court de diplomatie ? Pour moi j’accueille tous, petits et grands, avec une pareille politesse.

L’Hindou tient beaucoup aux convenances extérieures. Vous vous l’attacherez mieux avec des égards, avec de l’eau bénite de cour, que par des services rendus sans grâce. C’est dans l’Inde que notre adage a La manière de donner vaut mieux que ce qu’on donne » est à mettre en actions. Par ma patience à les écouter, j’ai charmé plus d’un Hindou, sans doute, et certains m’ont favorisé d’admirables récits. Un, entre autres, vaut par sa singularité. Il jette un jour d’une parfaite clarté sur le caractère religieux de ce peuple,