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française des Indes, chef des Malabars de Pondichéry, mansubdar de trois mille chevaux, commandant du fort et du district de Chinglepettou, compte parmi les personnages les plus considérables dans le drame court et brillant de notre domination précaire en Inde. Il naquit à Madras au mois de mars 1709 et mourut à Pondichéry le 11 janvier 1761. Pendant quinze ans, il avait été le Diwan de Dupleix, son agent le plus écouté.

La charge seule de mansoubdar (commandant en chef) de trois mille chevaux, valait, au temps des Empereurs de Delhi, plus de deux cent mille roupies de traitement annuel. Le titre de courtier de la Compagnie valait encore davantage. Son titulaire occupait la première place après le Gouverneur français. Il suffit de parcourir les volumineux mémoires laissés par Ananda-Rangapillei, conservés avec soin à Pondichéry, par M. Gallois Montbrun, pour se faire une idée des bénéfices que pouvait rapporter cette position. Dans cette Inde où tout se vendait à l’encan, où tout se vend encore aujourd’hui, de manière plus déguisée, peut-être, il est certain que notre Hindou profita dans la mesure du raisonnable, des exactions de Dupleix, et surtout de celles de sa femme dont la cupidité est demeurée légendaire.

On sait que Dupleix se faisait compter des sommes considérables pour rendre des décisions favorables dans les affaires de succession. En 1746 il reçoit ainsi cent mille huit cents francs, pour n’en citer qu’un exemple. Si sa présence à un mariage indigène lui était payée deux mille cinq cents francs, — ce temps heureux n’est plus, hélas ! — Ananda-Rangapillei, plus modeste, se contentait du dixième.

C’est en lisant les mémoires inédits d’Ananda, — et j’en fais traduire sans cesse des passages, — que l’on apprend à connaître Dupleix. Si le politique demeure intéressant à étudier, l’homme privé apparaît sous des espèces misérables. Son orgueil exaspéré, monstrueux, puéril est celui des comédiens les plus réputés. Les flatteries les plus grossières, les plus basses, sont celles-là même qui le touchent au plus profond. Qu’on le compare à Louis XIV, il sourit avec condescendance, sans sourciller. Vous connaissez son avidité. N’oubliez pas, cependant, qu’il fut homme de son temps, de ce temps, où les manieurs d’argent ne distinguaient point entre leur épargne personnelle et les deniers de l’Administration. Sans doute Dupleix fit dans l’Inde une fortune énorme. Mais il quitta