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tous les bourgs la parure des églises disait à la fois la richesse et l’esprit religieux des habitans. Les rigueurs des Anglais en firent un désert. Aussi, aux alentours des villages de l’île, et le long des côtes du Saint-Laurent, pendant toute la durée du siège, des tirailleurs français harcelèrent les postes anglais ; les curés de ces paroisses rurales, qui volontiers, pendant la paix, retroussaient leur soutane pour labourer, allaient avec les jeunes gens faire le coup de feu, tout heureux de tirer en même temps sur des maraudeurs et des hérétiques ; celui de Port-Neuf, pris dans une escarmouche, fut passé par les armes ; un autre, un jésuite, tomba un jour aux mains des Anglais avec un officier de milice, un groupe de cultivateurs et cent cinquante femmes de toutes conditions. Ces prêtres de la campagne, vivant la vie de leurs ouailles, étaient justement populaires, ils s’inquiétaient fort peu des disputes de préséance auxquelles l’évêque était souvent mêlé ; c’étaient des habitans et non des fonctionnaires ; ils aimaient la terre canadienne d’un amour de paysan. Leur action persistante, continuée sous le régime anglais, a beaucoup contribué au maintien, à l’exaltation de la nationalité française en Amérique. Aujourd’hui encore, on voit dans la province de Québec des prélats rédiger des mandemens sur l’éminente dignité de l’agriculture, et des ecclésiastiques se réunir en des conférences spéciales qui sont de véritables comices agricoles. Ainsi les armées royales ont été chassées du Canada, mais le vieil esprit français y a survécu.


Quelles étaient, en présence de cette population et de la petite armée campée au milieu d’elle, les forces des Anglais ? Pendant toutes ces campagnes, le rôle des Américains a été médiocre ; ou bien, n’ayant pas confiance dans les opérations menées par les troupes métropolitaines sur le front maritime, ils se réservaient, de crainte d’être isolés ensuite parmi les Français vainqueurs, ou bien ils préféraient n’intervenir qu’à titre accessoire, et laisser aux Anglais la charge et même la gloire des exploits les plus disputés. Toutes les victoires remportées par Montcalm dans le haut pays, à Oswego, sur le lac Champlain, ont montré, du côté américain, une certaine mollesse des soldats et une réelle insuffisance des chefs. C’est que les colons britanniques fixés dans la Nouvelle-Angleterre formaient un peuple aussi peu militaire que possible ; Washington lui-même s’en aperçut, au cours de la guerre de l’Indépendance ;