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commande le port d’Akaba et surveille le débouché de tout chemin de fer venant toucher à la mer au fond du golfe.

Tabah était probablement ignoré, il y a quelques semaines, même des spécialistes de la géographie, et voilà que brusquement son nom entre dans la renommée et remplit les journaux du monde entier ; à propos de cette humble oasis, les nations prennent l’alarme, les diplomates entrent en campagne, les cuirassés appareillent. Pareil phénomène n’est ni isolé, ni nouveau, dans notre histoire contemporaine, depuis que l’impérialisme conquérant a transporté au loin les rivalités des grands États européens et étendu à la terre entière le champ de leurs ambitions. Fachoda, naguère, et Port-Arthur, eurent semblable fortune ; les peuples apprirent à retenir leurs noms moins pour leur importance intrinsèque que pour la grandeur des intérêts dont ils résumèrent et synthétisèrent le conflit décisif. Fachoda est resté dans l’histoire pour signifier l’abandon de la vallée du Nil par les Français ; Port-Arthur représente les Russes éloignés des mers chinoises et l’humiliation des blancs devant les jaunes. Comment Tabah, durant quelques jours, a connu la même célébrité ; pourquoi la présence, à une certaine heure, de quelques centaines de soldats turcs au fond du golfe d’Akaba a failli troubler la paix du monde ; quelles circonstances enfin ont été au moment de déchaîner un conflit anglo-turc à propos de la presqu’île du Sinaï, c’est ce que nous voudrions expliquer ici.


I

C’est la Convention de Londres, en 1840, qui, en même temps qu’elle obligeait Mehemet-Ali, malgré les victoires de son année, à se contenter de l’Egypte que lui et ses descendans administreraient héréditairement au nom et sous la souveraineté du Sultan, a déterminé la limite qui séparerait les États du Khédive des provinces soumises à l’autorité des valis de Constantinople. L’Europe, qui faisait grise mine à ce vainqueur ami de la France et qui s’acharnait à le dépouiller de ses conquêtes, se montra du moins accommodante sur la question des frontières : elle laissa à l’Egypte, en avant de l’isthme de Suez, un large bastion formé de toute la péninsule de Tor-Sinaï. La frontière quitte le rivage de la Méditerranée à l’embouchure du Ouadi-Rifah, à l’Est d’El-Arich, près d’El-Rifah contourne le