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et de la civilisation arabe, par la langue, par la littérature, par la religion. Il est donc naturel de supposer que la propagande nationale arabe et la publicité qui lui a été donnée dans l’Europe occidentale, loin d’être des phénomènes isolés, sont en connexion étroite avec le grand mouvement d’indépendance qui se manifeste dans l’Arabie péninsulaire et dont l’Angleterre a si ouvertement favorisé le succès. A la lumière de ces faits, l’incident de Tabah s’éclaire ; il n’apparaît plus comme un simple litige de frontières, sans précédens et sans lendemain ; il explique les ressorts et il dévoile les secrets desseins de la politique anglo-égyptienne dans l’Asie turque et dans l’Arabie.

Héritier du pouvoir spirituel des anciens Khalifes arabes[1], le Padischah de Constantinople revendique l’autorité religieuse sur tout l’Islam ; mais il est de race turque et ne peut invoquer aucune parenté avec le prophète Mahomet : comme tel il est suspect aux Arabes et obligé à des ménagemens tout particuliers envers le grand chérif de la Mecque et les hauts personnages religieux des villes saintes. La Mecque a toujours été un centre d’effervescence politique et religieuse ; si, de sa propre initiative ou à l’instigation de quelque puissance extérieure, un chérif révéré, un descendant de Mahomet se mettait à prêcher la haine des Turcs et se proclamait lui-même comme le véritable successeur du Prophète et des anciens Khalifes, l’autorité mal définie, mais considérable, que le Sultan exerce sur tout l’Islam oriental, se trouverait compromise et son pouvoir politique en serait du même coup profondément ébranlé. La manifestation, en Arabie, dans la Rome de l’Islam, loin de tout grand État politique, d’une nouvelle autorité spirituelle, capable d’exercer son prestige religieux sur une grande partie de l’Islam asiatique, trouverait certainement dans le milieu égyptien un accueil très favorable. Toutes les puissances européennes qui administrent des sujets musulmans la pourraient voir sans déplaisir : mais c’est surtout l’Angleterre qui, semble-t-il, aurait sujet de se féliciter d’une révolution qui aurait pour résultat de ruiner l’autorité religieuse d’un sultan avec les droits souverains duquel elle doit compter

  1. On sait qu’après la suppression du khalifat de Bagdad par le Mongol Houlagou en 1258, la dignité de khalife fut restaurée au Caire par Beibars l’Arbalétrier ; elle y resta jusqu’à la conquête de l’Egypte par Sélim Ier (1517) qui prit pour lui le Khalifat et le transmit à ses successeurs, les sultans turcs de Constantinople.