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en Égypte et qui, de plus en plus, échappe à son influence pour entrer dans le rayon d’action de la politique allemande.

Cette menace, si lointaine qu’elle puisse paraître encore, n’a pas échappé à la vigilance soupçonneuse d’Abdul-Hamid ; c’est elle surtout qui explique les sacrifices considérables en hommes et en argent qu’il fait pour dompter la révolte de l’Yémen et du Hedjaz, et rester en possession des villes saintes ; c’est elle qui précipite la construction du chemin de fer qui, de Damas, descend vers la Mer-Rouge et vers la Mecque. La politique actuelle du Sultan pourrait être définie : une politique de chemins de fer ; elle procède d’un plan d’ensemble dont l’achèvement aurait pour effet de réunir les diverses parties de l’Empire par des voies ferrées, de permettre d’y exercer plus aisément la police et surtout de tirer un meilleur parti de leurs ressources et de leurs forces militaires. Les chemins de fer d’Asie sont avant tout des lignes de mobilisation et de concentration ; ils sont destinés à permettre aux troupes ottomanes, trop peu nombreuses pour l’étendue des frontières qu’elles ont à surveiller, de se transporter rapidement de l’Euphrate aux Balkans, et des bords de la Mer-Noire aux rivages de la Mer-Rouge. De tous ces chemins de fer, qu’il ne saurait entrer dans notre cadre d’étudier aujourd’hui, aucun n’est plus directement encouragé par le Sultan que celui qui, de Damas, s’enfonce au Sud dans la direction de la Mecque et du Hedjaz ; d’autres lignes ont été commencées ou concédées sur les instances de compagnies européennes et exécutées par elle ; celle-là est vraiment une ligne d’intérêt politique turc et d’intérêt religieux islamique ; c’est le chemin des villes saintes, celui qui, on l’espère du moins à Constantinople, permettra un jour au Sultan de fonder solidement son autorité sur le Hedjaz et le Yémen et d’empêcher la création, autour de la Mecque, d’un État arabe dont le souverain pourrait revendiquer le titre et l’autorité spirituelle des anciens khalifes. La voie qui mènera les soldats du Commandeur des croyans au cœur de l’Arabie, conduira aussi les saints hadjis vers la ville du Prophète ; l’ambition dominatrice se couvre ici d’une pieuse intention, ou plutôt c’est la méthode personnelle du sultan Abdul-Hamid qui se révèle dans ces efforts pour reconstituer, au profit de la Turquie, les élémens d’une politique panislamique. Dans cet empire ottoman où les réformes n’aboutissent guère et où lenteur et temporisation sont les maximes favorites du