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corps nombreux se rassemblait à Raphia, à la frontière égyptienne ; on parlait d’une armée de 80 000 hommes dont les élémens se concentraient à Damas, à Maân, et l’on signalait la mise à terre, à Beyrouth, de canons destinés à fortifier Akaba où campaient 2 800 hommes sous Ruchdi-pacha. Tout ce branle-bas ne devait aboutir qu’à une solution pacifique. Le Sultan attendit le jour où expirait le délai fixé par l’ultimatum, puis, apprenant que l’escadre du prince de Battenberg avait levé l’ancre et faisait route vers l’Est, il se hâta de télégraphier à Ruchdi-pacha l’ordre d’évacuer Tabah et tous les points de la presqu’île Sinaïtique occupés par ses troupes. En même temps il informait de sa résolution l’ambassade d’Angleterre à Constantinople ; mais il s’abstenait, dans cette première communication, de faire allusion à la question de délimitation ; sir Nicolas O’Conor refusa de se contenter de cette satisfaction incomplète, et, le lendemain, la Porte dut consentir à la nomination d’une commission mixte chargée de régler la question des frontières sur la base de la Convention de 1840 et de la dépêche du 8 avril 1892, la limite partant d’El-Rifah sur la Méditerranée pour aboutir à la pointe du golfe d’Akaba, à trois milles au moins de ce port. La Commission a dû se réunir le 28 mai à Akaba. Il est particulièrement intéressant de noter qu’elle n’est composée que d’Egyptiens et de Turcs ; aucun Anglais n’en fait partie ; sur ce point le Sultan semble donc avoir eu gain de cause ; il peut continuer à « ignorer » officiellement l’occupation anglaise en Égypte et sauvegarder le principe de la souveraineté ottomane sur la vallée du Nil.

Si Abdul-Hamid a cru pouvoir compter, pour tenir tête à la Grande-Bretagne et poser à nouveau la question d’Égypte, sur l’appui de l’une des puissances européennes, sa déception aura été complète. Cet encouragement ou ce secours, il savait qu’il ne pouvait l’attendre de la France : notre politique est aujourd’hui, en face de la question d’Égypte, exactement l’inverse de ce qu’elle était, il y a moins de dix ans, quand la diplomatie de la République réclamait l’indépendance du Khédive sous la souveraineté du Sultan et tentait, en occupant un point sur le Nil comme la Turquie vient d’essayer d’en occuper un sur la Mer-Rouge, de rappeler à la Grande-Bretagne qu’elle s’était engagée à fixer un terme au séjour de ses troupes en Égypte. Le gouvernement français s’est considéré comme engagé — par l’article 9 de la Convention du 8 avril 1904, qui l’oblige à « prêter à