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ce sera les Wessex Novels sont des transpositions réalistes de la tragédie antique. Ils excèdent par là même notre ordinaire faculté de sentir. Ils sont trop poignans et trop sombres. Certaines scènes sont trop pénibles ; et la popularité de M. Hardy a sans doute quelque peu expié le défi qu’il jette à la sensibilité des lecteurs et que beaucoup ne s’empressent point à relever.

Qu’importe, dira-t-on, si son art y gagne en intensité et en profondeur ? Ce n’est point nous qui nous aviserons de méconnaître sa puissance. Mais nous sommes bien obligés de constater que M. Thomas Hardy verse où il penche et tombe trop souvent de l’action dans l’intrigue, du drame dans le mélodrame. Il y a en lui de ce que les Anglais appellent « a novelist of sensation. » Son premier roman, Desperate Remedies, est tissé de complications et de péripéties, à la manière de Wilkie Collins. Cette disposition s’est modifiée, sous l’empire de plus nobles soucis ; mais elle est restée comme un goût fort manifeste encore dans les plus belles œuvres. On en trouverait un exemple, entre beaucoup d’autres, dans le Livre I du Return of the Native. Les personnages y sont présentés avec un parti pris de mystère qui finit par devenir irritant. Plus irritante encore l’obstination de l’auteur à faire sortir presque toujours les événemens décisifs d’un concours de circonstances où se montre sa main. Si loin qu’aille notre complaisance, elle répugne à s’accommoder d’arrangemens trop factices. Nous en voulons à M. Hardy d’user ainsi, manque de mesure, la grande idée qui soutient toute son œuvre, l’idée de la fatalité. Eh ! oui, sans doute, il est émouvant de nous montrer la vie comme une force mystérieuse et ironique en qui se résument toutes les énergies de résistance à notre volonté et à nos rêves : la tyrannie de la passion, le poids des contraintes sociales et cette inconnue que n’élimineront jamais nos prévisions et que nous appelons le hasard. Le hasard a sa part dans la fatalité ; mais il n’y entre pas seul et surtout il n’y entre pas toujours à point nommé. M. Hardy le rend infaillible. Il en fait un magicien astucieux, moins que cela, un féroce escamoteur. Voyez plutôt. Mrs Yeobright arrive chez le fils qu’un mariage funeste lui a enlevé et qu’elle se décide à revoir, à pardonner. Elle l’a vu rentrer dans la maison ; elle frappe ; mais Clym vient justement de s’endormir d’un lourd sommeil et Eustacia disparaît après avoir montré son visage derrière une vitre.