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de la tête, le bas constitue une assiette plutôt large pour son peu d’élévation. Une pareille masse ne pouvait donc se détacher que par un choc dû au renversement complet du colosse lui-même, ce qui aurait exigé un cataclysme d’une violence telle qu’aucun monument de Thèbes, aucun obélisque, aucune colonne de la salle hypostyle ne fussent restés debout. Or, malgré son intensité extrême, celui de l’an 27 ne fit qu’ébranler et tordre des édifices moins homogènes que ne l’est un monolithe, comme la partie occidentale du pylône d’Horus à Karnak.

Letronne, lui-même, qui attribue cette destruction au tremblement de terre, ne peut s’empêcher de le reconnaître : « On concevrait, avec quelque peine, dit-il, qu’un tremblement de terre eût été assez violent pour briser le colosse par le milieu, sans renverser du même coup la plupart des édifices de Thèbes[1]. »

Une étude attentive de chaque monolithe ne peut laisser le moindre doute à cet égard, car elle permet de se rendre compte des moyens qui furent employés pour briser l’un d’eux :

On commença d’abord, à l’aide d’entailles pratiquées aux jointures des bras, par dégager entièrement la partie supérieure, puis, frappant à coups redoublés, on la fit voler en éclats. Ce système était d’autant plus pratique que, sous l’action alternative de l’humidité et de la chaleur, cette pierre se désagrège et tombe par fragmens, souvent considérables. Peut-être des coins en bois, introduits de force dans les fissures et saturé d’eau, jouèrent-ils aussi un rôle efficace.

Malgré sa restauration, on distingue fort bien, encore, sur le colosse du nord, la cassure pratiquée aux avant-bras, elle se trouve exactement à la même place sur celui du sud dont on avait commencé à marteler le côté droit. Une pareille symétrie ne saurait, en aucune façon, être l’effet d’un phénomène naturel c’est donc à la main de l’homme qu’il faut attribuer cet acte de vandalisme. Ceci bien établi, on peut se demander pourquoi cette statue n’a pas fait entendre aussitôt le son qu’elle produisit plus tard sous le règne d’Auguste. En voici la raison. La destruction d’une pareille masse exigeait des chocs si violens, que les contrecoups, en se répercutant sur l’ensemble du monolithe, provoquèrent une fissure, d’abord peu apparente, allant du nord au

  1. Dissertation sur la statue vocale de Memnon, p. 27.