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religieuse, qui agitait les contrées qu’il parcourait. Fort dévot, très attaché aux dieux de l’empire, suivant l’ascendant de son épouse Julia Domna, fille d’un grand prêtre du Soleil à Emèse, jaloux surtout d’assurer la tranquillité publique, il fit de nombreux règlemens contre les chrétiens, et son retour à Home fut marqué par un édit de persécution.

En Égypte où le christianisme était très répandu, les victimes furent nombreuses ; et comme il fallait à tout prix enrayer la propagande, on dut opposer miracle à miracle.

L’opinion était alors fort accréditée, qu’avant d’être mutilée la statue de Memnon faisait entendre une voix bien plus mélodieuse et rendait de véritables oracles. Sa particularité d’émettre des sons dès les premiers rayons de l’aurore, amena le plus grand nombre à la considérer comme une imago du Soleil[1]et à établir, avec la statue de Sérapis d’Alexandrie, un rapprochement que rendait facile l’éclairage spécial sous lequel on la montrait et qui avait été très habilement imaginé par les prêtres.

Cette statue, d’un bleu sombre, emblème de l’hémisphère inférieur, composée de tous les métaux consacrés aux planètes, d’or, d’argent, de cuivre, de fer et d’étain, était enveloppée dans les replis d’un serpent entre lesquels figuraient les constellations zodiacales, serties d’émeraudes, de topazes et de saphirs. Retenue dans l’espace au moyen d’un aimant, sa face seule était frappée par les rayons solaires, alors que le reste du corps, plongé dans une mystérieuse pénombre, laissait voir, çà et là, quelques phosphorescences produites par les pierres précieuses. Il n’en fallait pas plus à des gens dont la vive imagination se plaisait au merveilleux, pour identifier deux images évoquant une idée commune. Aussi quel succès inespéré si, par une restauration qui lui rendrait sa forme primitive, Memnon retrouvait la belle voix qu’il possédait jadis ! Quel moyen plus efficace d’arrêter, en Égypte du moins, les progrès du christianisme ?

Nous n’avons aucune donnée historique sur l’époque exacte à laquelle cette statue fut restaurée et cessa de se faire entendre ; mais dans l’une des nombreuses inscriptions dont elle est recouverte, et qui est due à un affranchi des Augustes, ce dernier mot est représenté par le sigle AVGG[2], forme dont l’usage ne s’établit que sous le règne simultané de Septime Sévère et de

  1. Voyez Pausanias, liv. I, chap. XLII.
  2. Voyez Letronne, Inscriptions grecques et latines de l’Égypte, p. 385.