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Le Duc de Bourgogne n’était timide qu’autant qu’il était incertain du parti qu’il avait à prendre et que sa conscience n’était pas engagée. Mais lorsqu’il croyait obéir à la loi du devoir, aucune considération ne l’arrêtait. Or il avait fait par avance une étude approfondie de l’affaire, ayant lu avec soin les nombreux mémoires publiés par les deux parties, et fait venir leurs avocats pour les entendre. Souvent au surplus, il s’était entretenu avec le généalogiste Gaignères des questions concernant les grandes familles françaises et il connaissait bien leurs origines. Dans son discours, qui fut long, après un peu de retenue au début, il finit par s’animer et apostropher en quelque sorte le Chancelier : « Ce que je vous répondrai, monsieur, dit-il tout à coup, à ce que vous venez de dire, c’est que je ne trouve pas de question en ce procès et que je suis surpris de la hardiesse de la maison de Rohan à l’entreprendre. » Il réfuta alors, point par point, les argumens du chancelier et reprit avec force ceux de Daguesseau. Cependant il y en eut un qu’il n’admit point : ce fut celui du caractère particulier et incommutable donné aux stipulations du contrat de mariage par la signature de la Reine mère, car il déclara qu’ « il ne croyoit point que l’autorité des rois pût s’étendre jusque sur les lois de famille. » « Il parla une heure et demie, ajoute Saint-Simon, et se fit admirer par la force et la sagesse de son discours, et par la profonde instruction qu’il y montra[1]. » L’avis du Duc de Bourgogne, ainsi exprimé, faisait l’arrêt en faveur du duc de Rohan à la majorité de deux voix, mais il restait le Roi. Qu’allait-il dire ?

En théorie, c’était le Roi qui jugeait et décidait. En fait il était infiniment rare qu’il ne se rangeât pas à l’avis de la pluralité, comme on disait alors, et il le faisait toujours lorsque, un procès étant pendant entre un particulier et le domaine royal, la pluralité se prononçait contre le domaine, c’est-à-dire contre lui-même. Mais il n’avait jamais voulu admettre, en quelque matière que ce fût, que l’avis de la pluralité l’obligeât, et il avait même une fois, devant tous les courtisans, blâmé l’empereur Léopold de ce que « dans les plus grandes affaires de l’Etat il en passoit toujours par la voie de son Conseil, » ajoutant que « pour lui il étoit persuadé qu’un grand monarque devoit prendre les voix de tous ceux qui composoient son Conseil, mais qu’il étoit à

  1. Saint-Simon. Édition Boislisle, t. XIV, p. 159 et passim.