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direction raisonnable ; 2° de veiller à mes intérêts pécuniaires et à empêcher, ce qui au reste n’est pas très probable, qu’on ne reprenne l’idée de m’ensevelir dans quelque trou comme Kiew ; 3° enfin de se tenir en mesure de parer les bottes qu’on ne manquera sûrement pas, dans toutes les occasions et même sans occasions, de nous porter. Prudence, discrétion, réserve, vigilance, voilà ses armes. »

Muni de ces instructions, Blacas rejoignit son poste, préparé aux difficultés que le Roi lui avait prédites en lui conseillant les moyens de les conjurer. Mais il eut bientôt compris qu’elles étaient insurmontables. Le gouvernement russe était à cette heure uniquement soucieux de ne pas déplaire à Napoléon, de le convaincre de sa bonne foi ; il n’eût pas souffert la présence du comte de Blacas à Saint-Pétersbourg si ce dernier avait encore prétendu au rôle d’agent autorisé de Louis XVIII. Il s’appliqua donc, comme le lui dictaient ses instructions, à ne paraître qu’un émigré toléré en Russie comme tant d’autres. Par malheur, sous cette forme, sa fonction perdait toute son utilité. N’en pouvant tirer profit, il n’en sentait que les inconvéniens, n’en obtenait que des déboires. Les ministres ne le recevaient plus qu’à titre privé, par courtoisie ; il n’eût rien osé leur demander. Il redoutait d’être renvoyé[1] et ne pouvait plus porter sa croix de Saint-Louis. Sans les amis qui lui étaient restés fidèles, sans Joseph de Maistre, il n’aurait même pas été informé de ce que le Roi avait intérêt à savoir. En ces conditions, son séjour dans la capitale russe devait lui devenir promptement intolérable.

Les lettres qu’il écrit alors à d’Avaray, passé en Angleterre avec le Roi, trahissent sa lassitude, son impatience de se retrouver auprès d’eux, alors que dans la place qu’il occupe il ne peut plus être utile. Il allègue qu’il n’a d’autres ressources que celles qu’il tient de la bonté du Roi et qui sont insuffisantes. Il a contracté des dettes et, quand il les aura payées, il sera sans moyens d’existence. Il désigne un personnage résidant à Saint-Pétersbourg qu’il juge apte à le remplacer. C’est un émigré, le comte Parseval de Brion, lieutenant général en France, passé avec le grade de général major au service de la Russie. Ce vieux soldat suffira à la tâche et Blacas demande à lui remettre ses pouvoirs.

  1. Il fut sans doute bien près de l’être quoiqu’il semble l’avoir ignoré ; Caulaincourt, dans un rapport à Napoléon, écrit : « Le comte de Blacas a été renvoyé de Saint-Pétersbourg. »