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périr, etc. ? Et qu’y gagnerions-nous, je vous prie ? Un malheur de plus. Jamais un prince ne se défendra contre un usurpateur. Tous ceux qui dans les révolutions ont voulu faire tête à l’orage, y ont perdu le trône ou la vie. Il y a des raisons (honorables même pour eux) qui les rendent incapables de se tirer de ces épouvantables tourbillons.

« Je ne sais si c’est à M. le comte d’Avaray que j’écrivais un jour : l’or ne saurait couper le fer. Je ne m’en dédis pas : voyez le Tyrol ! voyez l’Espagne ! C’est une vérité qui ne doit certainement pas humilier les souverains. Mais je ne veux point m’embarquer dans cette dissertation. L’édifice élevé par Buonaparte tombera sans doute. Mais quand ? Mais comment ? Voilà le triste problème. Le plus sûr est de compter sur une longue durée, car le monde entier est modifié par cette épouvantable révolution et des ouvrages de cette espèce ne se font pas en huit jours.

« Parmi tous ces miracles, le plus grand de tous ces miracles c’est l’inconcevable aveuglement des Princes qui jamais n’ont vu comment il fallait attaquer la révolution. Non seulement ils ont laissé égarer les yeux des Français, non seulement ils n’ont jamais voulu les fixer sur un objet unique, mais ils ont fini par prendre en aversion cet objet unique et, au lieu de l’élever de toutes leurs forces pour le rendre visible de loin, ils n’ont rien oublié pour l’enterrer. Il ne reste plus maintenant qu’à négliger la succession, et cela, mon cher comte, c’est vous autres qui le ferez ; car il faut bien que tout le monde s’en mêle. Vous direz : il n’en manque pas ; il y a bien du temps, et vous verrez où ces phrases vous mèneront. J’ai peur du sophisme mortel. « Nous serons sages demain. » Il faut l’être aujourd’hui.

« Mon Dieu ! mon Dieu ! Quel épouvantable renversement ! D’un autre côté, je ne puis absolument être séduit par les événemens et croire que ces viles races doivent un jour commander paisiblement l’Europe. J’attends donc ou que vos princes proposent à d’illustres demoiselles de nous faire des Bourbons, ou que le mariage le plus intéressant de l’Europe devienne tout à coup miraculeusement fécond. Je m’amuse avec ces idées ; hors de là, je ne sais où me tourner.

« J’ai appris, mais sans détail, les changemens qui se sont faits chez vous. J’ai su que vous étiez chargé des fonctions les plus honorables et les plus fatigantes. Tant pis pour vous, cher comte, mais tant mieux pour votre maître. J’honore beaucoup la