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conformément à sa volonté[1]. « Le chagrin du Roi est toujours le même, écrit encore Blacas. Rien ne peut le distraire. Il est obligé de prendre de l’éther tous les soirs pour pouvoir reposer. Il est changé d’une manière effrayante et je ne puis vous dire, mon cher duc, combien je suis inquiet, tourmenté et malheureux de l’état de notre cher maître. L’impression que lui ont faite les derniers momens de la Reine est incroyable. »

Le Roi était depuis trente-six heures à Wimbledon lorsque, dans la matinée du 14 novembre, on y apprit à l’improviste l’arrivée à l’Armouth du roi de Suède. Chassé de ses États par une révolution militaire qui l’avait contraint d’abdiquer en faveur de son oncle, jadis régent du royaume, pendant sa minorité, Gustave IV venait, sous le nom de comte de Gottorp, demander asile à l’Angleterre. Sur l’ordre de Louis XVIII, Blacas partit sur-le-champ pour aller offrir ses services à ce nouveau proscrit qui, au temps de sa puissance et à l’exemple de son père, avait embrassé avec ardeur la cause des Bourbons. Il le rencontra au château de Braxted près Colchester où une respectueuse hospitalité lui avait été offerte.

— Je ne doute pas, sire, lui dit-il, que la Cour de Saint-James ne fasse pour Votre Majesté ce qu’elle a fait pour le Roi de France. Mais, en attendant, tout ce qui est à mon maître est à la disposition de Votre Majesté et tous les Français fidèles sont à vos ordres.

Le Roi lui sauta au cou et l’embrassa les larmes aux yeux, en le remerciant d’avoir prévenu ses désirs. Il n’en avait d’autre que de se rendre auprès de Louis XVIII et d’accepter un asile chez lui.

— Je croirai avoir retrouvé une famille. Je suis seul et n’ai pour toute suite qu’un domestique. Une chambre me suffira, et auprès du Roi je serai heureux. Je ne puis d’ailleurs gêner personne maintenant que je ne suis plus que le comte de Gottorp. Je veux être traité comme tel, j’ai renoncé à la Suède et aux Suédois que je tiens pour indignes de moi depuis qu’ils ont laissé les rebelles porter la main sur ma personne sans qu’aucun d’eux ait élevé la voix en ma faveur ni tiré l’épée pour me défendre.

Blacas reste auprès du roi de Suède durant cette journée. Le

  1. La pompe onéreuse donnée à ces funérailles fut généralement blâmée en Angleterre. Les ministres ne voulurent payer qu’une part des frais qu’elles avaient occasionnés et, à la suite de débats pénibles, celle qui restait au compte de Louis XVIII s’éleva encore à plus de mille livres sterling.