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pagnât le royal voyageur sur le continent. Mais le gouvernement anglais s’y opposa, ne voulant le laisser s’embarquer qu’en compagnie du seul domestique avec lequel, il était arrivé. Sur sa demande, le roi de France lui en avait cédé un au départ duquel on s’opposa aussi et qui ne parvint à l’accompagner qu’en se cachant à bord avec la complicité du capitaine et en ne se montrant que lorsque le navire eut gagné la pleine mer.

La mort de la Reine et le séjour du roi de Suède, tels sont les événemens qui agitèrent la cour d’Hartwell à la fin de 1810 et au commencement de 1811, en y suscitant des difficultés dont les plaintes de Blacas à d’Avaray, sans en préciser les causes, nous révèlent le caractère irritant. « Ah ! mon cher duc, combien je ressens tous les jours davantage le regret de votre absence ! Vous nous manquez à tous les momens et dans toutes les occasions. Je le croyais avant votre départ et j’en ai acquis la malheureuse certitude. La loyauté, la noblesse, la pureté de principes sont des folies ; le dévouement est une sottise, la fidélité et le respect une vieille mode, l’intégrité une duperie, la franchise un mot vide de sens et la religion un masque derrière lequel on peut tout faire. » Que d’intrigues, de conflits, de déceptions trahissent ces plaintes !

Le duc d’Avaray, lorsqu’il les reçut, n’était plus en situation de s’en émouvoir. Si durant les premiers mois de son séjour à Madère, il avait pu se faire illusion sur la gravité de son état, et croire à sa guérison, il ne le pouvait plus maintenant. La mort le guettait, il le savait, et, si proche de sa fin, il accueillait sans en concevoir de colère les tristes échos qui lui arrivaient du monde où lui-même avait vécu en proie à des tourmens incessans et meurtriers. Il n’avait plus de volonté que pour se préparer à bien mourir.

Une relation manuscrite de son secrétaire le comte de Pradel nous initie aux angoisses de ses derniers jours. Elle nous le montre s’alitant le 23 mai 1811, jour de l’Ascension, affaibli jusqu’à l’épuisement par les crachemens de sang, disputé en vain à la maladie par ses médecins, offrant à Pradel et à « son fidèle Potin » qui lui prodiguent leurs soins, l’exemple d’un courage chevaleresque et du plus rare sang-froid ; dominant ses souffrances, encore qu’il demande à Dieu de les abréger, pour dicter ses dispositions suprêmes, et remplir avec ferveur ses devoirs religieux et ne regrettant de quitter la vie que parce qu’il meurt