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son règne, conserver sa confiance et qui eut l’honneur tantôt de parler, tantôt d’écrire au nom du Roi aux puissances étrangères. Si Louis XIV avait autrefois disgracié Pomponne, parce que, dit-il dans ses Mémoires, « tout ce qui passoit par lui perdoit de la grandeur et de la force qu’on doit avoir en exécutant les ordres d’un Roi de France qui n’est pas malheureux[1], » il n’aurait pu adresser ce même reproche à Torcy. C’était au nom d’un roi de France malheureux que Torcy était condamné à écrire ; mais il savait, dans les dépêches qu’il soumettait à sa signature, conserver le ton, sinon de la force, du moins de la grandeur. Ce ne fut pas le seul service qu’il rendit à un maître parfois exigeant, et le labeur incessant auquel il avait à faire face, comme secrétaire d’État aux Affaires étrangères, et comme administrateur de plusieurs provinces importantes, ne fut pas la seule preuve de dévouement qu’il lui donna. On sait quel fut son rôle en 1709, lors de ces négociations que l’histoire appelle les préliminaires de la Haye. Il y avait deux mois que notre malheureux ministre plénipotentiaire, le président Rouillé, se débattait dans cette ville contre les exigences des Hollandais qui croissaient à chaque entrevue. Incertain, effrayé, il n’osait prendre sur lui aucune responsabilité, soit qu’il s’agît d’accepter ou de refuser quelques conditions nouvelles, et l’on pouvait craindre que l’insuffisance du négociateur n’entrât pour quelque chose dans le mauvais succès des négociations. Ce fut alors qu’à l’issue d’un Conseil où le Roi avait pris son parti, non sans douleur, de faire de nouvelles et importantes concessions, Torcy offrit au Roi de se rendre lui-même à la Haye, porteur de ses instructions dernières et de chercher à les faire accepter. « Une telle commission, dit-il dans ses Mémoires[2], n’étoit exempte de péril ni pour celui qui l’avoit proposée, ni de peines et de déplaisirs qu’elle pouvoit lui causer pour l’avenir, » et il ajoute avec raison : « le souvenir des maux qui ne sont plus s’efface aisément ; plus les temps s’éloignent, plus les événemens passés deviennent inconnus ; mais la postérité se croit en droit de condamner les sacrifices dont elle ignore quelle a été la fatale nécessité.

  1. Mémoires de Louis XIV, par Charles Dreyss, t. II, p. 521.
  2. Les Mémoires de Torcy ont été publiés pour la première fois en 1756 à Amsterdam, sous ce titre : Mémoires de M. de M. pour servir à l’Histoire des négociations depuis le traité de paix de Ryswick jusqu’à la paix d’Utrecht, et réimprimés dans la Collection des Mémoires relatifs à l’Histoire de France, par Petitot et Monmerqué, deuxième série, t. VII. C’est d’après cette édition que nous les citons.