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siècles, avec celles de l’Europe, et qui nous a envoyé, après l’écho de troubles assez confus pour nous, dans un pays hiératique et lointain, les exemples d’une bureaucratie puissante, absolue, inflexible, et, plus récemment, les théories anarchistes et sociales les plus radicales et les plus osées.

Mais plus au Nord, en dehors de la Russie proprement dite, c’est-à-dire de la Grande-Russie, en dehors même, on peut le dire, des limites de la Sainte Russie, de cet ensemble de pays dogmatiques et cristallisés, — volcaniques aussi, paraît-il, — où la mentalité complexe, profonde et formaliste des habitans s’est constituée par la combinaison hétérogène et laborieuse des anciens élémens slaves, sarmates, normands, byzantins, tartares et autres, il y a encore d’autres pays, dont les populations, de souche différente, et très clairsemées, ont rarement l’occasion de faire entendre leur voix jusqu’en Occident.

Ces populations, plus naïves, vivant plus au grand air que celles de la Russie centrale, et moins hypnotisées par le problème social, dont les sophismes ont succédé à ceux des querelles religieuses, ont aussi une littérature populaire, et elle est foncièrement différente de celle de la Moscovie et des contrées plus méridionales.

Le vaste bassin de l’océan Glacial, auquel on peut adjoindre celui du golfe de Bothnie et la partie Nord de celui du golfe de Finlande, forme une grande région, presque déserte aujourd’hui, presque oubliée aussi, qui, politiquement, fait partie intégrante de l’Empire russe, mais qui présente, avec des traits géographiques différens, une population bien distincte de celle de la Grande-Russie, comme caractères physiques, comme tendances, comme mœurs, comme idées.

Cette région a été négligée, presque évacuée depuis le commencement du XVIIe siècle jusqu’à il y a moins de dix ans, époque où la résurrection d’Arkhangelsk, provoquée par la construction du chemin de fer entre Moscou et ce port, est venue rendre la vie à tout un pays presque désert, et que beaucoup jugeaient condamné par la nature à une mort perpétuelle.

Relativement peuplé pendant tout le moyen âge et jusqu’au milieu du XVIe siècle, jouant même un rôle assez important dans l’Histoire de Russie, ce pays a été privé de sa population de colons, de chasseurs, d’outlaws, de mineurs et de condamnés, à l’époque où, sous Ivan IV, Yermak découvrit et conquit la Si-