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LA LITTÉRATURE POPULAIRE DE L’EXTRÊME NORD.

Sicile et d’Islande en Palestine, en Amérique même, ouvrant leur chemin à grands coups d’épée, au travers des batailles, pour suivre dans la mêlée la charge échevelée des Walkures, avec la même audace que, devenus chrétiens, ils mirent à aller délivrer et piller les Lieux-Saints. Mais, en même temps, le culte mi-fétichiste, mi-panthéiste des Baba-Yagha a été préféré, et, plus tard, a été conservé par leurs humbles sujets, les Finnois et les Lapons, chasseurs, pêcheurs et paysans, parens des Chinois, et plus proches encore peut-être des Aïnos[1], la vieille race autochtone du Nord de l’archipel japonais. Ces peuples, braves assurément, enthousiastes même, ont toujours été cependant plus admirateurs de la sagesse, voire même de l’adresse, que de la gloire.

N’étant pas un dogme, mais un sentiment, cette croyance populaire a résisté à l’invasion du Christianisme, devant laquelle a succombé l’aristocratie du Walhalla, comme l’avait fait, d’ailleurs, celle de l’Olympe gréco-romain.

Pour ne nous placer aujourd’hui qu’au point de vue purement littéraire, et non pas philosophique, ni surtout historique, ce qui sortirait de notre cadre actuel, nous nous bornerons à donner ici le texte de l’une des légendes les plus populaires de l’Extrême Nord-Est de l’Europe, celle de Wassilissa la Belle.

Cette légende, on la retrouve dans la Russie centrale, dans la région moscovite, et même plus au Sud, c’est-à-dire dans presque toute la Russie. Le nom même de l’héroïne est russe, et, comme peuvent le voir les hellénistes même les plus novices, d’étymologie grecque. Mais l’origine du conte est certainement septentrionale. Il a dû être apporté par les Normands ou par d’autres races du Nord, à l’encontre d’un très grand nombre de traditions populaires russes, d’ailleurs très composites et remaniées, mais dont l’origine est le plus souvent polonaise, lithuanienne ou orientale. Ceci n’a rien pour nous surprendre, car, dans le domaine politique, ce sont des dynasties normandes, issues de Rurik, qui ont fondé non seulement les principautés du Nord de la Russie, comme Iaroslav, Moscou, Novgorod ou Smolensk, mais même les États du Sud, comme celui dont Kief était la capitale. La conquête normande s’étant étendue, et cela

  1. On peut remarquer que, par une singulière coïncidence, Aïno est, dans l’épopée finnoise du Kalevala, le nom de l’une des héroïnes, la sœur du Lapon Joukahaïnen.