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national, et qu’elles valaient au gouvernement de Louis XIV, si attaqué et si décrié, comme un retour de popularité ? Laissons le Duc de Bourgogne les résumer dans une lettre à son frère Philippe V, lettre touchante et qui nous fera apercevoir en même temps les incertitudes de son esprit et les combats de son cœur :

« M. de Torcy arriva avant-hier au soir, écrit-il le 3 juin, les propositions des ennemis étant telles que je vais vous les dire : ils demandent que l’on reconnoisse l’Archiduc pour Roy de toute la monarchie d’Espagne, et que le Roy se rende garant que vous la céderez entre-cy et deux mois ; que l’on rende Strasbourg et que l’on rase les places d’Alsace, Landau demeurant fortifié à l’Empereur ; que l’on laisse à M. le duc de Savoye ce qu’il a pris sur la France en luy rendant ce que l’on ocupe de ses États ; que l’on donne à l’Archiduc nos plus considérables places des Pays-Bas pour être gardées par les Hollandais et servir de barrière contre la puissance de la France, et cela avant le terme de deux mois ; qu’il y aura une suspension d’armes. On doit aussi commencer à raser Dunquerque et combler le port pour la satisfaction des Anglais avant ce terme, et si, lorsqu’il sera expiré, vous n’avez pas cédé l’Espagne, ou la guerre recommencera contre nous, toutes nos places étant presque entre leurs mains, ou bien, ainsy qu’il a été dit à M. de Torcy, le Roy joindra ses forces aux leurs pour vous chasser d’Espagne, chose qu’il n’acceptera jamais, quoi qu’il en puisse arriver. Ainsi donc, malgré la situation extresme où nous sommes, le Roy n’a pas cru devoir acquiescer à de si extraordinaires conditions qui ne l’assurent point même de la paix, car tout cecy n’en est que les préliminaires ; il a ordonné au président Rouillé de le déclarer en Hollande et de se retirer à moins qu’ils n’adoucissent, ce qui n’arrivera pas, ces insurmontables articles. »

Après avoir mis ainsi son frère au courant de cette situation douloureuse, il s’efforce de lui faire admettre les raisons qui déterminent cependant le Roi à rappeler ses troupes en France, en abandonnant l’Espagne à ses propres forces, et il continue :

« Ma tendresse pour vous, mon très cher frère, me fait sentir vivement tout ce qui vous regarde en particulier, et je puis vous assurer que le seul bien nécessaire de l’État a eu part dans tout ce que le Roy, qui vous aime comme son petit-fils, a fait d’avances auprès des ennemis. On ne peut estre plus touché aussi que je le suis du respect et de la reconnoissance que vous avez toujours