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Ce sont aussi les formules souveraines que les initiés ont découvertes, que les fondateurs de religions ont adoptées, les mots magiques, menteurs et tout-puissans qui font trouver aux misérables que la vie est belle et aux martyrs que la mort est douce.

Ce rang prépondérant donné à la sagesse, c’est aussi l’un des traits qui révèlent l’origine extrême-orientale des Finnois, parens non seulement des disciples de Confucius, mais d’autres races plus lointaines et plus anciennes encore.

C’est par la sagesse, non par le courage ni la beauté, que se distinguent surtout les héros du Kalevala, de la grande épopée formée par l’assemblage de tous les vieux runes finnois. Et si une déesse de la troupe des dieux grecs en exil avait chance de tenir le rang suprême chez les Hyperboréens, ce ne serait pas Vénus, ce serait Minerve — à moins que ce ne fut Thétis[1], — de même que Vulcain, à l’instar de son confrère Scandinave le dieu Thor et du forgeron finnois Ilmarinen, l’éternel batteur de fer, l’inventeur de l’acier, qui forgea « le couvercle du monde, » aurait sans doute, en Laponie, l’avantage sur Mars, contrairement à ce qui nous a été enseigné dès notre enfance comme un principe dans toutes les écoles d’Occident.

Ici apparaît aussi, indiquons-le en passant, l’idée populaire que la possession de la sagesse ou de la science, pour avoir toute sa puissance, doit rester ignorée.

Cette idée est admise, dans une certaine mesure, par les philosophies sémitiques, mais seulement au point de vue de la prudence temporelle. La formule islamique : « Qui hausse son portail cherche sa ruine, » est une règle de conduite ou de politique plutôt qu’un dogme, à l’instar du vieux dicton français : « Pour vivre heureux, vivons cachés. » Mais on peut prétendre aussi qu’au contraire, dans l’Orient musulman ou aryen, chez les Arabes comme chez les Indous, le Sage est volontiers honoré et même adulé. L’enseignement pour lui est presque un devoir, et la science ou le pouvoir ne sont pas tenus de rester secrets. Dans les sociétés brahmaniques ou musulmanes, la puissance ou le savoir vont volontiers avec l’ostentation.

Il y a pourtant des exceptions. Mais c’est bien plutôt encore chez les cabalistes occidentaux du moyen âge, ainsi que chez les

  1. Voukahaïnen, la Vierge des Eaux, joue un rôle prépondérant à l’origine du mythe finnois, de même que, sous d’autres noms, Amaterasou, par exemple, elle est vénérée dans la cosmogonie de l’Extrême-Orient.