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de jour en jour davantage. Ils ont été rognés les derniers, après avoir résisté plus longtemps que les autres et avoir fait jouir encore leurs titulaires, au XIXe siècle, des plus lucratives fonctions de l’Etat. Mais, suivant l’inexorable loi économique, nos trésoriers modernes ont vu baisser leurs prix à mesure que leurs services devenaient moins précieux.

Les seuls grands postes officiels d’autrefois, dont les appointemens se soient maintenus et même aient grossi à notre époque, sont ceux du corps diplomatique. Ici le taux du salaire emprunte à la résidence des personnages qui en bénéficient un caractère international. Une puissance de premier ordre a l’amour-propre d’entretenir ses envoyés, à l’étranger, sur un pied égal à celui des nations qui tiennent même rang dans le monde. Au XVIe siècle l’ambassadeur de l’Empereur en Angleterre touchait 43 000 francs (1553) ; celui du roi d’Espagne en France n’avait que 39 800 francs (1562). Peut-être ces plénipotentiaires étaient-ils « ordinaires, » tenus à moins d’éclat que les chefs de missions passagères et fortuites. Aujourd’hui tous nos ambassadeurs, dussent-ils résider quinze ans de suite près la même cour, sont titrés d’ « extraordinaires, » et nous comptons qu’ils rivaliseront de faste avec ceux qu’accréditait le roi Louis XIV ; car nous les payons plus cher qu’au XVIIe siècle, sauf celui de Constantinople, qui avait 180 000 francs en 1640 et qui n’en a plus que 150 000. Le voyage est moins pénible, il est vrai, avec l’Orient-Express, et les affaires plus simples avec la Banque ottomane, qu’en cette année 1640 où précisément se passait à Constantinople, entre Bajazet, Amurat et Roxane, la tragédie qui devait, peu d’années après, être mise en scène à Paris. « L’extrême éloignement de ces personnages turcs, écrivait Racine dans la préface de Bajazet, fait qu’on les regarde de bonne heure comme anciens et leur donne, quelque modernes qu’ils soient, de la dignité sur notre théâtre. »

L’ambassadeur de France en Savoie touchait 60 000 francs, tout juste autant que l’ambassadeur actuel à Berne. Tous les autres recevaient uniformément 90 000 francs par an à Londres, Venise, Rome et Madrid. Aujourd’hui le poste de Madrid vaut 110 000 francs, celui de Rome 120 000 francs, et celui de Londres 200 000. La roue de la fortune, en tournant, a changé l’importance respective de ces capitales ; mais les représentans de la République, au dehors, sont mieux gagés que n’étaient ceux du grand Roi.