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Chantemerle (Dauphiné), en 1607, « savoir si les habitans voulaient faire apprendre leurs enfans, » le conseil communal. répond qu’il ne peut traiter « à cause de la pauvreté du lieu ; » pour le même motif, les gens de Grisac, en Languedoc, refusaient d’entretenir un magister : « Les enfans, disaient-ils, ne pourraient aller à l’école pendant neuf mois de l’année, occupés qu’ils sont aux travaux de la campagne, « sans lesquels leurs pères et mères se trouveraient hors d’état de pourvoir à leur subsistance ; » pendant les trois mois d’hiver, où ils auraient le temps d’aller en classe, les chemins sont impraticables, « à cause des neiges et du nombre prodigieux de loups et de sangliers qui habitent les bois, qui, excités par la faim, épouvantent les personnes de tout âge. »

En 1650, la commune de Gontaud (Gascogne) supprime les gages du régent, « attendu qu’il n’a pas d’écoliers ; » quelque trente ans plus tard, Mme de Sévigné s’exprimait ainsi sur le compte de ses vassaux d’Epoisses, en Bourgogne, village doté pourtant d’un instituteur : « Ce sont des sauvages, qui n’entendent même pas ce que c’est que Jésus-Christ. »

Voilà les quatre types de populations illettrées qui formaient, jusqu’au XVIIIe siècle, la grande majorité des Français : la ville d’Aire, siège d’un évêché cependant, s’avise pour la première fois en 1750 d’avoir un régent « afin de sortir la jeunesse de son ignorance crasse. » Sous Louis XIV et Louis XV, le pouvoir central, qui commence à se découvrir vis-à-vis de l’enfance des devoirs et des droits, intervint tantôt pour encourager, tantôt pour restreindre : l’intendant de Dauphiné, ayant appris que des consuls n’avaient pas inscrit à leur budget le traitement du régent, leur écrit d’avoir à le faire sans retard : « parce qu’autrement j’ordonnerai que vous le paierez en votre propre et privé nom (1709). » En Bourgogne, au contraire, les curés se plaignent que « nos seigneurs les intendans refusent d’homologuer les actes des paroisses pour les appointemens des maîtres d’école. »

Ces appointemens étaient si modiques qu’il y a, pensera-t-on, quelque ironie, à faire entrer dans l’« histoire des riches » celle de fonctionnaires qui n’avaient pas de quoi vivre. Tel instituteur, nouvellement engagé, s’en allait au bout de quelques mois et refusait de continuer son année, « ne pouvant, disait-il, subsister avec ses gages. » Un autre décampe sans mot dire et écrit