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insolent des traitans de l’école de Dupleix prouvait aux gens de guerre manquant de pain que, suivant l’expression vulgaire, « l’argent n’était pas perdu pour tout le monde. »

Une légende veut que les derniers paquets de mitraille, tirés en 1761 par les défenseurs de Pondichéry, aient été de pagodes d’or et de roupies d’argent. Comme les projectiles manquaient, un Hindou serait venu trouver le comte de Lally Tollendal, avec un chariot plein d’espèces monnayées, et le prier de s’en servir pour charger ses canons. On a même écrit que les chirurgiens de l’armée anglaise auraient trouvé, dans les plaies de leurs blessés, des monnaies au lieu de morceaux de fer et de plomb. C’était confondre la chose avec l’idée, si l’on peut dire, et donner un corps à une simple métaphore. S’il est vrai que les derniers coups de canon furent tirés avec l’argent de Ramalinga, rien ne l’est moins que de soutenir que ces canons Turent chargés avec cet argent.

En cette circonstance comme dans les autres, Ramalinga mit toutes ses ressources au service du général en chef des armées du Roi à Pondichéry. Dès le 28 avril 1758, Lally Tollendal était entré en relations avec Ramalinga. Il s’agissait de ravitailler le corps français occupé à assiéger les Anglais dans le fort Saint-David, après la prise de Goudelour. Ce corps manquait non seulement d’argent, mais encore de vivres, à tel point qu’on craignait de voir les hommes affamés se mutiner et se débander. Les membres du Conseil de la Compagnie des Indes avaient inauguré la politique d’obstruction qu’ils ne cessèrent de suivre en dilapidant les sommes affectées à la guerre, et en se refusant à fournir les subsistances, les transports, voire l’artillerie, sous prétexte que le numéraire manquait. Ainsi les pires ennemis de Lally ne furent point les Anglais, mais bien ces Français mêmes qu’il avait charge de défendre… Passons !…

Et, cependant, je ne puis m’empêcher de songer à cette iniquité. J’ai consacré de longues heures, dans la paisible bibliothèque de Pondichéry, avec mon vieil ami Bourgoin qui l’administre soigneusement, à feuilleter les registres des délibérations de la Compagnie. Partout j’ai trouvé les preuves du mauvais vouloir qui accompagna l’infortuné Lally depuis son arrivée dans l’Inde jusqu’à son odieuse condamnation, suffisante pour déshonorer un règne…

Le comte de Lally Tollendal fit donc mander Ramalinga aux