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temps utile par le convulsionnaire, servent d’avertissement aux trois autres musiciens, et même au public, quand il va se dire, se chanter ou se passer quelque chose de véritablement important.

Ayant en vain obsédé Paul Mimande, puis le procureur de la République que la présence de sa femme suffit à retenir dans le devoir, voici que la bayadère adresse ses déclarations brûlantes à un vieil Hindou, un richard, sans doute, à en juger par ses lunettes d’or et ses vêtemens irréprochablement plissés. L’attitude stoïque du personnage devant cette persécution galante, extraordinairement mimée, s’expliqua d’elle-même quand il s’éveilla en sursaut, avec un ronflement sonore, quelques instans après que la danseuse fut partie.

Elle avait disparu derrière un rideau. C’est là que nous la trouvâmes occupée à boire du soda ; familièrement elle s’abreuvait au goulot de la fiole, en épongeant d’un mouchoir son front moite de sueur, car il doit être noté qu’à la fête de Sandiramourty, la température n’était pas inférieure à 35° centigrades. Sans cesse on nous offrait du vin de Champagne frappé, des sirops glacés, que sais-je encore ? Le marié dormait profondément avec ses deux compagnons de canapé. On les emporta pour les coucher, et la représentation continua.

Maintenant la bayadère mimait les grands poèmes héroïques de l’Inde. Tendant l’arc avec Rama, un genou en terre, elle criblait de ses flèches les Raksahs de Lankâ. Campée fièrement, la jambe gauche avancée, elle combattait avec la hache, se couvrait du bouclier, pointait ou taillait de l’épée. Autant sa danse amoureuse avait été molle et légère, autant sa pyrrhique se faisait lourde et puissante, avec des foulées de gladiateur et des détentes brusques, promptes et précises comme les mouvemens de l’escrime.

Tout, en cette belle femme, semblait changé, jusqu’à son costume, jusqu’à son sexe même. Un héros éphèbe se dressait devant nous, à cette heure, un de ces jeunes dieux des combats, dont les bras innombrables manient des armes légères, fulgurantes et terribles. Ses yeux étincelans disaient l’ivresse de la bataille, ses traits impassibles le courage réfléchi qui assure la victoire, son sourire cruel la joie de donner la mort et de braver le danger. Ses vêtemens serrés prenaient des aspects d’armure, ça coiffure brillante figurait un casque, les plaques battantes des tempes en étaient les paragnathides, les nattes tressées d’or et