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Depuis que le régime douanier du 10 mars 1894 a été mis en vigueur, Pondichéry s’est trouvé isolé complètement de l’Inde anglaise, et son commerce réduit à rien. Victime des luttes douanières entre les deux métropoles, notre petit établissement agonise lentement. Il se console en se livrant aux agitations politiques avec une activité digne de remarque. Le gouvernement de Pondichéry n’est pas une sinécure, car la plupart des Français résidant s’allient ouvertement avec les indigènes des « Sociétés progressistes » contre le représentant de l’autorité. Depuis Dupleix et Lally Tollendal, l’esprit n’a pas changé. A cela près que le fameux « arbre aux roupies » est depuis longtemps flétri, et qu’une misère générale remplace la prospérité passée, les mêmes vertus fleurissent chez ces politiciens de village. L’envie, la haine, la calomnie, la dénonciation se développent librement à l’ombre de l’arbre nouveau, l’arbre électoral ! Pour des fonctions salariées, tout porteur d’une carte d’électeur, brahme ou paria, vendrait la France entière et Pondichéry s’il se trouvait quelqu’un d’assez malavisé pour l’acheter.

Mais c’est assez, c’est trop parler de ces questions vaines et irritantes. J’aime mieux vous entretenir, avant mon départ pour le Malabar, de mes recherches d’histoire naturelle aux environs de Pondichéry. Sans aller bien loin, du reste, je puis observer la faune indienne, surtout depuis que Soupou m’a notifié officiellement son départ pour Madras. Cette formule signifie simplement que, pendant quelques jours, mon ami Soupou se désintéressera des choses de son hôtel, dont je continue d’être le seul occupant. Son frère, Soupou Ainapassamy, est chargé alors de la régence. Ces interrègnes sont particulièrement calamiteux. Le frère, personnage invisible, gouverne despotiquement le caravansérail. Je ne puis plus rien obtenir des domestiques que je suis obligé, à jour fixe, de menacer de mort violente, pour avoir du pain à ma suffisance, et de la glace pour un seul repas. Je me suis même résigné, de guerre lasse, à acheter ce dernier article de mes deniers. Ce sont mes domestiques particuliers qui font le ménage, lorsque Soupou, quoique établi à Madras, ne les emploie pas à ses propres affaires, sous un prétexte ou un autre. Le seul Cheick Iman demeure incorruptible. Mais comme il remplit auprès de moi des besognes officielles et quasi administratives, je ne le vois qu’à temps compté.

Les quatre heures qui s’écoulent entre le déjeuner et la