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plupart de ces veuves n’hésiteraient pas à monter sur le bûcher si elles en avaient congé.

Ce qui est bien plus curieux, à mon sens, c’est le petit pagotin des environs, où un pandaram mène sa procession solitaire en débitant ses oraisons au pied de la statue équestre d’Aïnar. La silhouette du gigantesque cavalier se profile sur le ciel embrasé par le soleil à son déclin, et le religieux vêtu de toile rousse tourne au tour du socle que garde un Dévarpal à massue, appliqué en bas-relief, et en tout pareil, comme coiffure et costume, à l’homme qui se perd dans l’ombre du soir. Grâce à une roupie offerte avec à propos à ce pénitent de Civa, pauvre Hindou décharné à la face couleur de poussière et dont les yeux gris ne paraissent rien voir ici-bas, j’ai obtenu la permission de m’approcher de la puissante idole et reçu une pincée de cendres. Le bois de sandal et la bouse de vache dont elles sont le résidu donnent à ces cendres un caractère indéniable de sainteté, et d’ailleurs elles viennent d’un pèlerinage réputé, sans que ma curiosité aille jusqu’à s’enquérir de sa position exacte.

Coiffé d’une sorte de tricorne, vêtu d’un court pagne et d’une écharpe de toile jaune que l’user a rendue roussâtre, le gardien d’Aïnar se reconnaît à première vue pour un de ces pandarams qui ont fait vœu de garder une vie chaste et solitaire pour l’amour du Dieu Civa. Il nous a autorisés à regarder de près la colossale statue équestre, à cette condition de ne point passer entre le petit temple et le socle où le pion de terre cuite monte, avec sa masse, son éternelle faction. Le rite défend aux piétons chaussés de souliers de longer les pagotins d’Aïnar, il interdit aussi de s’en approcher à cheval ou en voiture. Puis, nous ayant adressé ses recommandations, le pandaram reprend sa promenade monotone, marmonnant des oraisons. Il s’éloigne le des voûté, égrenant entre ses doigts les grains d’un collier d’outrachon, grains qui écartent l’Amen, génie de la mort, et dont les saillies embrouillées répètent certaines de ces figures qu’aime à prendre Civa quand il descend sur la terre.

La statue équestre en terre cuite, de proportions colossales, est bien celle de cette divinité secondaire, gardienne de l’ordre, d’Aïnar, fils de Civa et de Moyéni. Vous savez sans doute que Moyéni est un des avatars accessoires de Vischnou. Le grand Dieu aux mille formes jugea à propos de prendre celle d’une femme pour séduire les géans et leur enlever l’Amourdon, la liqueur