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accepter la compensation qu’on lui offrait et se serait refusé à abandonner son royaume d’Espagne, Louis XIV se refusait de son côté à l’y contraindre par la force. Il se bornerait à retirer ses troupes d’Espagne, et laisserait les alliés s’y prendre comme ils l’entendraient pour détrôner le Roi. C’était presque uniquement sur ce point qu’allaient porter pendant plusieurs mois les conférences ouvertes à Gertruydenberg, morne petite ville de Hollande, située au milieu d’un immense marécage et dont la tristesse, dit avec raison M. Legrelle dans l’intéressante histoire qu’il a écrite de ces négociations, devait faire une singulier ? impression sur les deux plénipotentiaires français, « habitués à Versailles ou à Marly, voire au riant paysage de l’abbaye de Bonport[1]. »

Sur les péripéties de ces négociations, nous avons un document de première main, intéressant jusqu’à en être dramatique, c’est ce Journal où Torcy écrivait pour lui-même, presque tous les soirs, ce qui s’était passé au Conseil d’en Haut. On y voit au clair les sentimens et l’attitude de chacun des membres du Conseil. La douloureuse question qui semblait mettre aux prises l’honneur royal et l’intérêt français y vint en délibération une première fois le 26 mars. Des lettres longues et chiffrées étaient arrivées dans la journée. Il fallut l’après-midi pour les déchiffrer, et le Roi remit le Conseil au soir, chez Mme de Maintenon qui assistait à ces conseils tardifs de son lit. Les plénipotentiaires faisaient savoir que, toutes les conditions des préliminaires de la Haye étant maintenues, les alliés voulaient bien offrir la Sicile au roi d’Espagne ; mais, s’il refusait cette misérable compensation, ils continuaient à exiger que son grand-père lui déclarât la guerre et se joignît aux alliés pour le détrôner. Le Roi ouvrit la délibération en commandant à Torcy de dire son avis. Torcy, de son propre aveu, faiblit. Il conseilla de demander Naples en outre de la Sicile, mais de déclarer que si le roi d’Espagne refusait la compensation, le « Roi consentirait à joindre ses forces à celles des alliés pour lui faire la guerre. » Desmaretz, Pontchartrain, furent de son avis. Mais cet avis fut combattu fortement par Beauvilliers, « qui parla longtemps et avec éloquence sur l’injustice de faire la guerre au roi d’Espagne » et le Duc de Bourgogne, prenant la parole après Beauvilliers, « soutint

  1. Legrelle, la Diplomatie française et la Succession d’Espagne, t. V, p. 507.