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Chancelier firent de même, non sans quelques dissentimens et quelques récriminations sur le passé, auxquelles le Roi coupa court en demandant l’avis du Duc de Bourgogne. Voici comment Torcy résume l’opinion exprimée par le jeune prince : « Il biaisa quand il fallut dire son sentiment. La conscience, dit-il, empêchait presque également et de faire la guerre au roi d’Espagne et de donner aux ennemis de l’argent pour lui arracher la couronne. Cependant le bien de l’État demandait la paix. Au milieu de ces perplexités, ce prince, rempli d’excellens sentimens et d’esprit, comme s’il fût demeuré ébloui de ses propres lumières, ne put jamais sortir de ce labyrinthe, ni décider du parti qu’il y avait à prendre, sans toutefois s’opposer à l’avis commun. »

Monseigneur, le propre père du roi d’Espagne, s’étant également rangé à cet avis, le Roi céda et commanda à Torcy de préparer une lettre aux plénipotentiaires par laquelle ceux-ci seraient autorisés à faire cette dernière concession. Torcy, le soir même, porta la lettre à signer au Roi chez Mme de Maintenon. « Le Roi, dit Torcy, parla pour lors des scrupules du Duc de Bourgogne, et ne loua pas la manière d’attirer toujours la conscience, bien ou mal, à toutes les affaires d’État[1]. »

Le récit manifestement malveillant de Torcy qui en voulait peut-être au Duc de Bourgogne de l’avoir contrecarré précédemment et d’avoir montré plus de fermeté que lui, laisse clairement apercevoir ce qui a dû se passer au Conseil. Par scrupule de conscience, le Duc de Bourgogne était contraire à l’avis commun. S’il n’osa pas le dire formellement, il le laissa entendre et son attitude impliquait un regret de la résolution prise. De là la mauvaise humeur du Roi, mais faut-il donc le blâmer, comme l’ont fait quelques historiens, parce que la conscience lui tenait le même langage et lui dictait les mêmes sentimens que l’honneur ?

De ces sentimens nous continuons à trouver la touchante expression dans la suite de la correspondance avec son frère, vis-à-vis duquel on l’a accusé, nous ignorons sur quels fondemens, d’éprouver des sentimens de jalousie. Au commencement de l’année, il le met loyalement au courant des difficultés au milieu desquelles la France se débat. « Si nous étions en état de continuer la guerre, lui écrit-il, nous ne penserions jamais à

  1. Journal de Torcy, p. 179.