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miss Courtney, qu’il paraît aimer beaucoup, ainsi que les enfans qui lui sont nés d’elle. C’est maintenant pour eux, autant que pour lui-même, qu’il a besoin de gagner de l’argent par tous les moyens ; et ce sentiment, joint au progrès naturel des instincts de moraliste que notre aventurier a toujours eus dans un recoin de son âme, revêt les pages finales de son récit d’une dignité sobre, sévère, un peu mélancolique, qui ne laisse pas de nous en rendre la lecture à la fois plus bizarre et plus agréable.

L’impression qui se dégage le plus nettement, pour nous, de cette dernière partie des souvenirs de Whaley, c’est que jamais Paris n’a été une ville plus gaie, plus frivole, plus adonnée au plaisir sous toutes ses formes, que pendant les crises les plus aiguës de la Révolution. Sans doute, cette impression tient surtout au caractère même du narrateur ; et il n’est pas surprenant qu’un homme comme celui-là, qui trouvait le moyen de perdre de l’argent au pharaon sur les ruines du Temple de Jérusalem, ait trouvé le moyen de se refaire une fortune en commanditant un tripot, au Palais-Royal, dans l’ancienne Chancellerie de la rue de Valois, pendant que se déroulait le procès de Louis XVI. Mais Whaley ne nous introduit pas seulement dans ce tripot, où se coudoient, chacune nuit, autour du tapis vert, les représentans les plus notoires de tous les partis opposés : à chaque pas qu’il fait dans Paris, des occasions s’offrent à lui de jouer aux cartes, de s’enivrer en joyeuse compagnie, ou de repousser vertueusement les avances de quelque jeune et charmante beauté, aristocrate ou bourgeoise, royaliste ou sans-culotte. Évidemment l’un des premiers effets de la fièvre révolutionnaire a été, non point peut-être d’aviver, mais d’enhardir, d’émanciper, de précipiter au grand jour de la rue, la dépravation produite, dans les mœurs françaises, par cent ans de paresse et de « libre pensée. » C’est en sortant d’une partie de bassette au Pavillon de Hanovre que Whaley assiste au retour de la famille royale, après le drame de Varennes ; et c’est au Café de Foy qu’il apprend, entre deux parties de pharo, les détails circonstanciés de l’exécution de Louis XVI.

Il y aurait à citer en outre, dans ce récit, mainte page précieuse pour notre connaissance de l’histoire anecdotique des hommes et des choses de la Révolution ; mais la place me manque, et, puisque je viens de mentionner le retour de Varennes et l’exécution de Louis XVI, ce sont ces deux épisodes que je vais choisir, parmi vingt autres, pour achever de donner un aperçu sommaire de l’intérêt, comme aussi de l’exactitude habituelle, du récit de Whaley. Voici d’abord le retour de Varennes :