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nous séparer de l’Espagne, mais plus on va en ayant et plus on se ruine. On n’a point d’argent ni pour payer les troupes, ni pour acheter du bled, quoiqu’il baisse de prix et qu’il y ait une belle espérance à la récolte. Les ennemis cependant ont assemblé de grands magasins, et s’ils entroient en campagne avant que le verd soit venu, l’on ne sait si l’on pourroit leur opposer d’abord une armée. Cependant si les ennemis ne veulent point de paix qu’à des conditions impossibles, je conviens avec vous qu’il est de la dernière importance d’essayer à reconquérir la Catalogne et à renvoyer l’Archiduc en Italie. » En même temps il redouble l’expression de sa tendresse : « Adieu, mon très cher frère ; encore un coup, après les intérêts de la France je n’en ai point de plus chers que les vostres. J’espère de la bonté de Dieu qu’il nous tirera bientost de cette terrible guerre, et qu’il vous conservera la couronne qu’il vous a donnée. Je vous embrasse de tout mon cœur et vous demande toujours la continuation de vostre amitié. »

Les négociations se rouvrent cependant à Gertruydenberg, mais le Duc de Bourgogne ne semble pas beaucoup croire à leur succès, et c’est en Dieu qu’il met sa confiance. « Les négotiations de Hollande languissent, écrit-il, le 5 avril. Les ennemis croyent appuyer leurs demandes par les opérations de leur armée. Il faut espérer de la bonté de Dieu qu’après s’estre servi d’eux pour nous châtier, il punira enfin leur injustice et que leurs succès ne seront pas tels qu’ils se les promettent. » Il ne dit rien cependant à son frère des décisions prises dans les délibérations du Conseil où se jouaient tout à la fois le sort de l’Espagne et celui de la France, car c’eût été trahir le secret du Roi, et d’ailleurs ses lettres, qu’il expédiait par l’ordinaire, auraient pu tomber dans les mains des ennemis. Aussi se borne-t-il à exhorter son frère à la résignation. Apprenant que Philippe V a dû quitter Madrid et transporter sa cour à Valladolid : « Je ne doute pas, lui écrit-il, que vous ne receviez toutes ces choses-là de la main de Dieu qui nous favorise d’autant plus qu’il nous frappe plus rudement en cette vie. Il nous est bien nécessaire depuis quelque temps de nous soutenir dans ces pensées ; mais il faut espérer que Dieu, après nous avoir humiliés, ne nous écrasera pas tout à fait. »

Il l’assure cependant de son suffrage pour les secours qui ne préjudicieraient point à la France, et son amitié ne lui laissera