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L’Espagne vient de traverser une crise, plus grave peut-être dans la réalité que dans l’apparence. Il semble, en effet, que ce ne soit qu’une crise ministérielle : encore s’est-elle réduite à la substitution de quelques hommes à quelques autres, sans qu’on soit sorti du même parti. Le maréchal Lopez Dominguez, libéral, a remplacé M. Moret, libéral lui-même : le parti libéral reste donc aux affaires, probablement avec le même programme, en tout cas, avec un programme qui ne saurait être bien sensiblement modifié. Où est donc l’importance du changement ? Elle est dans la décomposition des partis dont il apporte un nouveau témoignage. Nous parlons au pluriel, parce que le parti conservateur souffre du même mal que le parti libéral : le dernier ministère de M. Maura en est mort, comme en meurt aujourd’hui celui de M. Moret. Mais ce mal sévit naturellement avec moins d’intensité sur un parti, lorsqu’il est dans l’opposition que lorsqu’il est au pouvoir. Dans l’opposition, il réunit plus facilement toutes ses forces pour renverser le gouvernement adverse et prendre sa place : le lendemain, il se divise quand il doit gouverner à son tour.

Le parti libéral, — nous parlons surtout de lui puisqu’il est actuellement en cause, — est fort loin de manquer de personnalités très distinguées ; peut-être, même, en a-t-il trop ; mais, depuis que la mort l’a privé de M. Sagasta, comme elle a privé le parti conservateur de M. Canovas del Castillo, le temps n’a pas encore donné à un autre la même somme d’autorité. Il en résulte que le parti au pouvoir, quel qu’il soit d’ailleurs, a une tendance à se diviser sous des impulsions différentes ; il ne présente pas toute l’homogénéité désirable. C’est pour ce motif que M. Montero Rios, qui avait heureusement présidé à toutes les négociations qui ont précédé la Conférence d’Algésiras, a donné sa démission avant cette conférence, et a été remplacé par M. Moret, qui a donné la sienne peu de temps après. On dit même qu’il aurait pu être amené à la donner encore plus tôt, si le mariage du Roi ne lui avait pas assuré quelques semaines de survie. Personne ne voulait d’une crise ministérielle pendant la Conférence ou avant le mariage, et c’est à cette double circonstance que M. Moret aurait dû la durée, pourtant si courte, de son ministère. M. Moret est pourtant un homme d’un rare mérite. Il a un très grand talent oratoire, une longue pratique des affaires, et déjà un ascendant personnel que personne ne conteste, mais auquel, toutefois, certains de ses amis ne tardent pas à échapper après l’avoir subi quelque temps. La règle que chacun doit avoir son tour semble dominer les évolutions politiques de l’Espagne. Après M. Montero Rios, M. Moret ; après M. Moret, le