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de réminiscence qu’ils font tout cela. Ce sont des ombres qui jouent à la Madame. Quel état ! quelle poussière que le genre humain ! Il y a un physicien nommé La Metterie[1], et ce n’est pas le Lamettrie du Roi de Prusse, lequel La Metterie a fait un livre qui a pour titre : Principes de philosophie naturelle[2] ‘ Dans ce livre il prétend que les espèces dominent tour à tour sur la terre. Je ne sais quelles espèces actuellement détruites y ont occupé le premier rang, avant la race humaine ; et j’ai oublié quelle est celle qui doit nous remplacer : je ne sais si ce n’est pas le lion ou l’orang-outang. Mais je trouve que nous avons tout à fait la mine d’une espèce usée et qui va s’éteindre. Il me semble que cela se voit non seulement intellectuellement mais physiquement. Le mépris de la vie et de la douleur, qui n’est fondé sur aucun principe de dévouement ou d’opinion, me paraît en être un symptôme ; on aime encore le plaisir, mais on ne craint plus guère la douleur. On arrivera à se pétrifier encore davantage. On n’aimera plus le plaisir, et l’espèce s’éteindra.


Chaque peuple à son tour a brillé sur la terre,
Par les lois, par les arts et surtout par la guerre.
Eh bien ! le tour du singe est à la fin venu.


Une personne qui est bien loin d’être éteinte, c’est notre amie de Chaumont. Son talent est plus beau qu’il ne l’a jamais été. Je ne connais rien d’égal à quelques parties et à tout le troisième volume de son ouvrage actuel[3]. J’espère qu’elle l’aura bientôt achevé. C’est un superbe monument du XIXe siècle, le dernier peut-être.

Conçoit-on que Chateaubriand n’ait pas été nommé dans le Rapport ? et qu’ils s’en tirent par un jeu de mots, en disant que le Génie du Christianisme est un livre de théologie ?

Comment ira notre Dictionnaire si vous n’avez encore rien fait ? On m’a assuré qu’on commençait l’impression des A lundi prochain. Je serais bien fâché que les vôtres n’y fussent pas. J’espère que vous êtes un fanfaron de paresse.

Adieu, cher Prosper. Je suppose que vous verrez notre amie avant son départ. Au reste, les circonstances me semblent s’arranger

  1. Jean-Claude de La Métherie, médecin, naturaliste et physicien (1743-1817), professeur-adjoint des Sciences naturelles au Collège de France.
  2. Genève, 1778.
  3. De l’Allemagne.