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désormais complète ; elle tire de l’universalité des élémens qu’elle embrasse un intérêt puissant et trouve dans l’art des van Eyck sa plus éloquente expression. Dans le domaine infini qu’ils ont conquis, toutes les voies sont ouvertes, toutes les directions indiquées par la maîtrise souveraine de leur génie.

Ce fut là un moment de féconde expansion pour la peinture. Il ne devait pas durer et, dans le morcellement en genres spéciaux que celle-ci allait subir, il ne fut donné qu’à quelques maîtres supérieurs de réaliser de nouveau le programme complet de cette époque privilégiée. Tout en excellant dans plusieurs parties de leur art, il n’en est guère, en effet, qui l’aient pratiqué dans son intégralité. Nous avons dit avec quel dédain Michel-Ange parle du paysage. Tout entier à l’étude et à l’austère représentation de la personne humaine, il isole celle-ci de la nature et n’envisage guère la peinture que d’un point de vue un peu sculptural. A des degrés divers, d’autres artistes, et non des moindres, pratiquent pareille exclusion. Même au siècle dernier, Ingres, reprenant les traditions de l’art grec, répudie tout élément pittoresque et vous chercheriez en vain dans son œuvre un arbre ou un buisson. D’ordinaire les sujets qu’il traite sont placés dans des intérieurs clos. Le rocher auquel est enchaînée Andromède est tout à fait dépourvu de réalité et si, comme on l’a dit, « une âme végétale vit et respire » dans la gracieuse figure de la Source ; si les formes onduleuses et en quelque sorte fluides de son corps juvénile répondent bien au caractère allégorique de cette figure, il est permis de remarquer que les plantes qui croissent à côté d’elle et les fleurs grêles et raides qu’arrose le mince filet d’eau qui s’écoule pauvrement de son urne renversée semblent rapportées ici pour la circonstance. On sent l’artifice un peu enfantin et la gaucherie de ces accessoires qui n’évoquent en rien l’idée de la nature.

A travers les âges, il est vrai, et dans les différentes écoles, la lignée des grands artistes, universels par leurs aspirations comme par leurs aptitudes, s’est continuée, et les noms de Léonard de Vinci, de Raphaël, de Corrège, ceux de G. Bellini et surtout de ses illustres élèves Giorgione et Titien, ceux d’Albert Durer, de Rubens, de Poussin, de Rembrandt, de Velazquez, et, en face d’Ingres, celui d’Eugène Delacroix, attestent suffisamment quel charme vivant et expressif l’intervention de la nature pittoresque ajoute à leurs œuvres. Encore, chez plusieurs de