Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 34.djvu/591

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

idées tactiques, de la colonne ou de la ligne ou suivant la force et la qualité des troupes en présence. Mais quelle que fût sa formation, la condition du succès de l’infanterie employée dans l’offensive comme un projectile destiné à rompre la résistance opposée, ou comme un mur assez solide pour briser son élan dans la défensive, résidait dans une cohésion en état de se maintenir (pendant un temps relativement court, il est vrai, pour chacune des phases de la lutte) malgré l’effet matériel et moral du canon et des charges de cavalerie, jusqu’à son contact avec l’infanterie ennemie. L’efficacité du fusil à âme lisse ne dépassant pas 30 à 40 mètres, ce contact, en raison de la longue durée du chargement de l’arme, était immédiatement suivi, soit du corps à corps, soit plutôt, avant le choc, de la retraite plus ou moins précipitée de celui des deux partis qui subissait l’ascendant moral supérieur de son adversaire. Aussi l’éducation des troupes visait-elle surtout et par-dessus tout l’inébranlable fermeté du rang, le coude à coude, quand même, qui ne s’obtenaient que par un profond sentiment de discipline et une grande habitude du contact dans la manœuvre compassée de la place d’exercice et dans les exigences rigides des multiples et minutieux détails de la vie de la caserne et des camps. Leur répétition journalière entre les mêmes individualités établissait entre elles un lien étroit et engendrait ce sentiment d’amour-propre collectif, particulier aux groupes d’hommes réunis, longuement, dans un but commun, qu’on a appelé l’esprit de corps. En même temps, elle les façonnait, peu à peu, à un geste mécanique, dont la perfection consistait en une uniformité et une régularité absolues, exclusives de toute pensée propre, de toute initiative individuelle, de nature à rompre l’harmonie géométrique des mouvemens de l’ordonnance. De là, l’importance extrême attachée aux parades et aux revues. L’alignement impeccable des troupes au repos et en marche et l’ensemble d’un maniement d’armes obtenu par une cadence identique où aucune maladresse ne venait produire de dissonance, étaient, en effet, l’indice certain d’un dressage complet et perfectionné. Ces spectacles, à la majesté desquels contribuaient le retentissement des sonneries, le roulement des tambours, l’harmonie des musiques et des fanfares, le cliquetis des armes, leur chatoiement sous les ruissellemens des rayons d’un soleil d’été, emplissaient de confiance le cœur des soldats et d’un légitime orgueil celui de leurs chefs,