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naturaliste qui s’accuse de plus en plus dans l’école, l’étude d’après nature triomphe complètement. Les paysagistes qui, au début, trouvaient dans la banlieue parisienne, à Montmartre, à Beaujon, à l’île Seguin, à Bougival et au Bas-Meudon, des coins pittoresques encore respectés, sont obligés d’étendre peu à peu le champ de leurs explorations et finissent par prendre possession de la France entière. Avec sa merveilleuse situation, celle-ci leur offre les sujets d’étude les plus variés ; du Nord au Midi, de l’Océan à la Méditerranée, des Alpes aux Pyrénées, la diversité de ses ciels, de ses terrains, de ses cours d’eau, de ses forêts, de ses cultures les sollicite tour à tour. Ce sont comme autant de contrées différentes qui ont leurs peintres attitrés. Les plus sauvages, les plus retirées les attirent de préférence, car c’est elles qui ont le mieux conservé leur caractère, c’est là qu’ils ont chance de rencontrer tes solitudes qu’ils recherchent, celles où la nature préservée des destructions de l’homme a gardé intacte sa physionomie. A propos des Landes dont on leur a parlé et qu’on leur dépeint comme un pays désolé, inabordable : « Ça doit être beau, dit Jules Dupré à Rousseau, et puisqu’on fuit ce pays, c’est là qu’il faut aller. » Et les voilà partis à l’aventure, n’épargnant ni leurs pas, ni leurs peines. Il faut vivre de pain noir, coucher sur la dure, s’accommoder de la rude existence des bergers et des sabotiers. Mais on est jeune, on aime ardemment son art et les beautés pittoresques qu’on découvre font passer sur bien des misères.

Aux difficultés de l’installation, à l’extrême frugalité de la nourriture se joignaient les farouches dispositions des habitans du pays. Ce n’est pas sans défiance qu’ils voient arriver ces étrangers, venus on ne sait d’où, on ne sait pourquoi. Leurs mystérieuses allures, leurs stations prolongées sur divers points, l’étrange emploi qu’ils font de leur temps, tout les rend suspects, et les mésaventures qui les attendent fourniraient matière à de longs récits. En 1832, au moment du choléra, Cabat et Jules Dupré séjournant dans l’Indre sont l’objet d’une étroite surveillance ; on les soupçonne d’empoisonner les sources et, un jour qu’ils se sont approchés d’une fontaine, ils sont en danger d’être écharpés tous deux. Rousseau, installé dans une pauvre auberge au col de la Faucille, est heureux de pouvoir ajouter à l’insuffisance de sa nourriture « les fraises et les framboises parfumées qu’il cueille abondamment sur ces hauteurs. » Mais ses