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de se décider à y prendre le monarque autrichien et l’adhésion du Danemark qui avait dû, en faisant sa paix avec la Suède, promettre aux alliés un contingent de dix mille hommes dressaient en face de Napoléon un faisceau de forces belligérantes auquel il semblait difficile qu’il pût longtemps résister. Accueilli par les souverains avec un empressement presque respectueux, Moreau, qui s’était rendu auprès d’eux à la sollicitation de l’empereur de Russie, leur avait promis ses conseils pour la campagne qui se rouvrait.

Dans la situation faite à Louis XVIII par le dédaigneux oubli où le laissaient les alliés, l’arrivée de Moreau constituait un événement heureux. Par des lettres d’Amérique reçues l’année précédente à Hartwell[1] et signées du royaliste Hyde de Neuville qu’on a vu mêlé aux conspirations de 1800, il savait que Moreau était disposé à servir la cause des Bourbons. « Dites à Louis XVIII, lui avait fait mander le général, que vous connaissez un bon républicain qui, désormais, servira sa cause avec plus de fidélité que beaucoup de gens qui se disaient autrefois royalistes. Depuis que les républicains se font esclaves, c’est auprès des rois sages qu’il faut aller chercher la liberté. » Louis XVIII, dès ce moment, croyait donc pouvoir compter sur Moreau.

Il le croyait maintenant d’autant mieux qu’une lettre datée de Stralsund, le 10 août 1813, et adressée à Londres au comte de Bouillé allié du marquis de ce nom, l’un des organisateurs de la fuite de Varennes, montrait Moreau, à son arrivée en Europe, toujours animé des sentimens qu’il avait manifestés à Hyde de Neuville l’année précédente, « tout rempli des plus nobles pensées, tout à sa patrie pour la délivrer et lui donner une constitution honorable sous la domination de la famille royale. »

« Le prince de Suède lui a fait une réception royale, disait cette lettre, l’a logé chez lui, a tenu sa cour chez le général, et lui était au milieu de tous ces cordons, de ces titres et de ces Excellences, les deux bras pendans avec son petit frac et son air négligé, regardant, remerciant et rougissant au moindre mot d’éloge. Il a enivré ici jusqu’au peuple. Hier, au dîner du prince royal, nous avons manqué d’être écrasés tant on se pressait pour le voir. Il ne s’en apercevait pas. Il est parti pour le quartier général russe, ne veut revenir qu’aide de camp de l’Empereur.

  1. Elles étalent adressées à d’Avaray dont, en 1812, la mort, survenue en 1811, était encore ignorée en Amérique. Blacas les ouvrit et les communiqua au Roi.