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l’ « orner. » On prend à la lettre, et avant la lettre, le mot célèbre : « Quelle vanité que la peinture qui attire notre admiration par l’imitation de choses dont nous n’admirons point les originaux ! » et, en conséquence, l’art consiste justement dans ce que l’on ajoute à ces originaux. L’original n’est plus qu’un prétexte ou un point de départ, et c’est tout ce qu’il garde, si je puis ainsi dire, de commun avec l’intention de l’artiste ou du poète. Et, dans de telles conditions, s’il ne demeure plus qu’une question, qui est de savoir « comment » on déformera la nature, c’est ici, nous semble-t-il, qu’on ne saurait méconnaître l’étroite parenté du précieux et du burlesque. Le théâtre de Scarron est si peu le contraire de celui de Corneille qu’il en est l’ « envers » ou le « revers. »

De même que le burlesque, en effet, c’est par le moyen du « travestissement » que le précieux se réalise, et si bien qu’il devient quelquefois difficile de les distinguer l’un de l’autre. Lorsque Cathos dit à son petit laquais : « Voiturez-nous ici les commodités de la conversation, » si son langage est précieux ou burlesque, on pourrait dire en vérité que nous ne le savons que depuis Molière ; mais ce qui n’est pas douteux, c’est que toute la finesse et la distinction qu’elle croit mettre dans sa façon de parler ne consistent qu’à « déguiser » ce qu’elle veut désigner. Périphrase, métaphore, altération de sens, présentation de l’objet par son aspect le plus inattendu :


Ne dis plus qu’il est amarante,
Dis plutôt qu’il est de ma rente,


si l’on analyse l’un après l’autre les procédés du style précieux, on trouvera de la sorte que la loi principale en est de « transposer » ou de « travestir. » Il s’agit précisément, dans le style précieux comme dans le style burlesque, de ne pas nommer les choses par leur nom. Ce que les burlesques avilissent pour nous faire rire, les précieux le fardent pour nous le faire admirer. Également éloignés de vouloir imiter la nature, ils s’accordent en ce point que le triomphe de l’art est de la dénaturer. On est alors poète ou romancier dans la mesure où l’on passe la nature. Et d’ailleurs on passe la nature, on en sort, si je puis ainsi parler, par l’extrémité que l’on veut, celui-ci, comme Corneille, en poussant à bout l’héroïsme, et celui-là. comme Scarron, en outrant