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l’honnête auberge où vous étiez autrefois choyé, et à la bonne cuisine campagnarde, simple, habile à faire emploi des ressources locales, ont succédé les menus ambitieux des tables d’hôte cosmopolites, avec leurs viandes équivoques et leurs sauces frelatées. Si, par hasard, l’artiste désireux d’horizons nouveaux et de pays moins profanés, mettant à profit des confidences d’amis ou les indications des cartes géographiques qu’il a appris à lire à son point de vue, arrive à découvrir des coins pittoresques encore ignorés, qu’il se hâte d’y courir ; il ne sera pas toujours prudent pour lui d’y retourner.


IV

Il n’est pas, croyons-nous, de travail dont le charme soit comparable à celui que goûte un paysagiste peignant en face de la nature. Quitter la ville, au printemps, alors qu’on est las de l’atelier, saturé de la vague odeur d’huile rance qu’on y respire, plus dégoûté encore des tableaux sur lesquels on a peiné pendant les obscures et courtes journées de l’hiver, et après quelques heures de voyage, se trouver loin de Paris, affranchi des corvées qu’on y laisse, au cœur d’un beau pays, en air pur, sans autre préoccupation que d’y vivre à son gré, de choisir à sa fantaisie les études auxquelles on va consacrer toutes ses heures et se donner tout entier, quel changement et quel repos ! Peu à peu, après quelques jours de cette vie saine et bienfaisante, le calme se fait en vous, et dans ce contact intime avec la nature, votre amour pour elle vous mérite ses confidences. Vous l’aviez oubliée ; vos yeux s’ouvrent de nouveau à ses beautés : elle vous apparaît toujours vivante. Autour de vous, tout en elle vous intéresse, tout vous captive. Vous voyez beau, et les journées s’écoulent désormais pareilles, remplies par les contemplations actives de l’étude.

Que de douces heures se passeront ainsi fécondes en jouissances et en spectacles imprévus ! Immobile et silencieux, au cours de ces bonnes séances de travail, vous faites vous-même partie du paysage. Vous vous familiarisez avec les bruits mystérieux qui s’élèvent autour de vous : les pins dont le murmure continu rappelle celui des vagues de la mer ; les coups secs et rythmés du pic martelant sans relâche les vieilles écorces ; la couleuvre qui glisse sournoisement entre les bruyères ; la