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formes ou des procédés d’art, et véritablement une « constitution d’esprit. » Il y a des esprits ainsi faits que rien de simple et surtout de naturel ne les intéresse, et l’art ne commence pour eux qu’avec l’exception ; il n’est à leurs yeux que traduction, transposition, ou interprétation. C’est ce qu’il serait intéressant de montrer dans une étude plus étendue, qui s’appliquerait à toutes les littératures modernes.

En attendant, il ne nous reste plus qu’à prévenir une dernière objection, et s’il est vrai que le « burlesque » et le « précieux » soient des « formes d’art, » ou une « constitution d’esprit, » il nous reste à dire en terminant quel droit nous avons de les appeler des « maladies. » Il n’y a rien de plus facile ! C’est que, comme nous croyons l’avoir montré, l’esthétique du « burlesque » et du « précieux » s’opposent à l’esthétique fondée sur l’ « imitation de la nature ; » et dans toutes les littératures, — je crois qu’on pourrait dire dans tous les arts d’imitation, — nous voyons et nous constatons que les grandes œuvres, unanimement reconnues pour telles, ne relèvent que de la seconde. On ne peut rien objecter à cela. Ni Dante, ni même Pétrarque, ni Rabelais, ni Molière, ni Shakspeare, ni Milton, ni Cervantes, ni Goethe, ni Schiller ne sont des « précieux » ou des « burlesques, » mais des « naturalistes » chacun à sa manière. Et puisque ainsi c’est en eux, dans leur œuvre, que l’humanité s’est reconnue, comme dans la représentation ou dans l’expression de ce qu’il y a de plus profond et en même temps de plus élevé en elle, c’est donc eux qui sont sains et normaux, et les autres à proportion qu’ils se rapprochent d’eux. Il y a d’ailleurs des « maladies » constitutionnelles, qui sont vraisemblablement inhérentes à l’espèce, et dont l’humanité ne se débarrassera pas plus dans l’avenir que des organes qui en sont le siège, ou des fonctions qui en sont l’occasion.


F. BRUNETIERE.