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Mettez en face d’un même motif vingt paysagistes et supposez-les tous également sincères et à peu près aussi habiles, ils vous donneront de ce motif vingt images très différentes. Tel en aura recherché les grandes masses, tel autre les détails ; celui-ci visera la richesse des colorations, celui-là leur sobriété. Les effets de lumière modérés ou leurs contrastes violens, le caractère de grâce ou de force, la beauté des silhouettes ou la puissance du modelé, bien d’autres visées encore, auront préoccupé ces divers artistes, ou même chacun d’eux suivant ses dispositions présentes. Avec Fromentin il ne faut pas se lasser de le redire : « L’art de peindre est peut-être plus indiscret qu’aucun autre. C’est le témoignage indubitable de l’état moral du peintre au moment où il tenait la brosse. » Son œuvre est transparente et en même temps qu’il traduit à sa façon le coin de nature qu’il a sous les yeux, il se découvre lui-même et donne, à qui sait voir, l’idée non seulement de son talent, mais de sa volonté, de son goût, de la tournure de son esprit.

A travers cette diversité extrême des interprétations, bien des traits communs se retrouvent chez les artistes d’un même pays et d’un même temps. Tout d’abord, nous l’avons vu, le choix des motifs a singulièrement varié, suivant les écoles et suivant les époques. Au début, les plus compliqués semblent seuls mériter qu’on les représente ; puis, avec l’avènement du paysage intime, disparaissent les détails étranges et les vastes panoramas. Les contrées renommées auparavant comme les plus pittoresques sont alors délaissées pour celles dont une sorte de logique et d’harmonie préétablies déterminent le caractère. Aujourd’hui, les paysagistes jouissent d’une liberté absolue et même, en ces derniers temps, par une réaction instinctive contre les anciennes traditions, la vogue s’est portée vers les motifs d’une simplicité enfantine : une route ou un canal, avec des arbres symétriquement plantés sur leurs bords, un pont, des toits, des meules alignées le long de sillons dépouillés.

Un vrai peintre peut encore tirer parti de données aussi élémentaires, s’il en relève l’humilité par le talent qu’il y sait mettre : Cazin l’a surabondamment prouvé. Mais trop souvent, les œuvres de ce genre, prônées à grand fracas et recommandées à l’admiration lu public, ne donnent même pas une idée bien nette des objets qui y sont représentés. Dans une des chapelles les plus courues, ouvertes au culte de l’art nouveau, j’entendais un de ses