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ou ce que ceux-ci lui arracheraient par ruse, s’il prétendait à lui seul tout ou presque tout prendre.

Nous mettons au défi que l’on trouve une législation moderne, chez un grand peuple civilisé quelconque, qui applique des droits successoraux approchant, même de fort loin, de ceux que propose M. Poincaré avec une stupéfiante sérénité. Voici l’Italie, par exemple, pays qui a d’énormes charges et a dû faire preuve de grands efforts pour relever sa situation financière ébranlée ; elle a appliqué dernièrement aux successions un tarif progressif très accentué : elle porte le taux jusqu’à 22 p. 100, manifestement extravagant, pour les transmissions entre parens éloignés ou non-parens ; mais cette limite maxima, si excessive qu’elle soit, est encore bien en deçà de celle de près de 29 p. 100 qui ressort des droits nouveaux proposés par notre ministre des Finances. Le tarif italien, sauf cette exception, est en général beaucoup moindre que le tarif français actuel, notamment en ligne directe et pour les collatéraux rapprochés : la taxe maxima italienne est de 3,60 en ligne directe, contre 5 p. 100 actuellement chez nous et 7,15 p. 100, taux proposé dans notre nouveau tarif ; de même, entre époux, le taux italien maximum est de 6,60 contre 9 actuellement chez nous et 12,87, taux aujourd’hui projeté ; il en est de même pour la généralité des taxes sur les héritages collatéraux[1].

Il est difficile de comprendre, quand on soumet ainsi à un Parlement des mesures de confiscation, dont aucun peuple n’a eu l’idée, qu’on s’adresse, d’un ton avenant, aux victimes, en leur disant qu’elles doivent « tenir certainement à honneur de tendre spontanément une main fraternelle au peuple qui s’élève, »et que leurs « intérêts légitimes n’auront jamais à souffrir des légers, bien légers sacrifices qu’elles pourront faire à la paix publique et à l’esprit de solidarité. » Telle était la brillante péroraison de M. Poincaré à son discours du 11 juillet dernier. Il est vrai qu’il parlait alors, non de son projet sur les successions, mais de son projet d’impôt sur le revenu dont nous entretiendrons dans un instant le lecteur. Il y aurait là, néanmoins, une sorte de phénomène d’amnésie, car la fiscalité d’un peuple forme un ensemble et l’on ne peut on détacher une pièce isolée : de « légers, bien légers sacrifices, » des taxations de 10 à 12 1/2 p. 100 entre

  1. On peut se reporter sur tous ces points à notre Traité de la Science des Finances, 7e édition, t. II, p. 614 à 636, également p. 172 à 251.